Le mentorat fait sa révolution

Le confinement lié à la crise du Covid-19 a eu un effet désastreux sur la scolarité des élèves les plus fragiles. Qu’ils aient ou non repris le chemin de l’école, un nombre croissant de jeunes demandent une aide individuelle immédiate pour sauver leur année ou ne pas décrocher. Dans ce contexte, l’Afev et le Collectif Mentorat ont mis en place l’opération MentoratdUrgence, qui se prolongera jusqu’à la mi-juillet.   Les moyens d’une réponse massive à l’afflux spontané des demandes d’accompagnement L’histoire d’un emballement, dans tous les sens du terme. Avec l’opération #OnGardeleLien, l’Afev avait mis en place sa transformation numérique dans des délais record dès l’annonce de la fermeture des établissements scolaires. Le défi, organiser le suivi pédagogique à distance pour ses mentors et ses 8 000 mentoré.e.s. afin de lutter contre les inégalités dues à l’éloignement scolaire. Puis, très vite, l’association et l’ensemble des membres du Collectif Mentorat, se sont trouvé.e.s débordé.e.s face à l’augmentation importante du nombre de demandes émanant de structures extérieures, associatives ou liées à l’Éducation nationale.  Depuis la reprise partielle de la vie scolaire, on observe que dans beaucoup de familles précaires vivant dans des zones où le virus circule encore, les parents semblent redouter de renvoyer leurs enfants à l’école.    Des collectivités,  des centres sociaux et des établissements scolaires ont commencé dès les premières semaines du confinement à faire remonter d’autres cas de dénuement numérique de familles demandant de l’accompagnement « Parallèlement, raconte Eunice Mangado, directrice des programmes de l’Afev, on voyait poindre le problème de la continuité pédagogique, le confinement s’annonçant dans la durée. Notre collectif s’est alors demandé comment apporter une réponse massive, rapide et partagée à l’afflux du surnombre de demandes d’accompagnement de ces milliers de jeunes identifié.e.s. Pour faire face à cet enjeu sociétal prioritaire, nous avons tenté de mutualiser nos actions et mis en place l’opération solidaire #MentoratdUrgence, en partenariat avec le Ministère de l’Éducation nationale et l’ANCT (l’Agence nationale de la Cohésion des Territoires»    Les équipes locales des 8 structures continuant à soutenir les binômes habituels à distance, soit environ 15 000 jeunes mentorés, une task force nationale a été constituée au niveau du Collectif Mentorat. Échange de bonnes pratiques, partage des inquiétudes et interrogations, pilotage en temps réel… En quelques jours, l’Afev et le Collectif ont redéfini tout le processus du mentorat en France, depuis le moment où un jeune est identifié par une structure, jusqu’à sa mise en relation avec un mentor recommandé par le collectif. Au plan pratique, c’est donc toute la chaîne qu’il a fallu revoir pour parvenir à absorber l’augmentation des sollicitations dans un contexte d’urgence et de réduction des équipes. Désormais, ce sont les structures locales extérieures aux associations du collectif qui procèdent à l’identification du jeune ou de la famille dans le besoin ; ce sont également elles qui effectuent le travail d’affinement du suivi de l’enfant accompagné. De même, pour augmenter rapidement le recrutement sécurisé de mentors, il a fallu concevoir la mise en ligne de nouveaux outils de référence (pédagogie à distance, ressources culturelles…) sur le site lementorat.fr.    L’opération MentoratdUrgence a vocation à s’amplifier jusqu’à la mi-juillet, et le Collectif Mentorat ne relâche pas ses efforts pour mobiliser davantage de mentors d’ici là. Dans ce contexte aigu, confier aux structures relais la mise en lien des jeunes avec les bénévoles proposé.e.s par les associations du Collectif Mentorat a permis de monter en puissance et d’aider déjà plus de 3 000 enfants supplémentaires. À l’évidence, cette augmentation a été rendue possible par la participation de nouveaux acteurs déterminants, pour lesquels aider les élèves en difficulté est une priorité.    Un élan suscité par l’engagement inédit de partenaires incontournables Très vite, au début du mois de mai , l’impulsion est donnée par les universités partenaires qui diffusent les appels à mentor de l’Afev et du collectif auprès de leurs étudiant.e.s. Impact de cet appel, une mobilisation exceptionnelle qui démontre avec éclat que non, la jeunesse n’est pas centrée sur elle-même, mais qu’elle aspire justement à une société plus solidaire. De la même façon, les entreprises partenaires proposent à leurs salarié.e.s. de devenir mentors bénévoles. Mais l’histoire ne se fait pas en un jour. Une fois les appels lancés, il faut batailler sur les protocoles d’automatisation, de manière à sécuriser au maximum la mise en relation entre les mentors et les jeunes. En une semaine, plusieurs documents sont finalisés, en coordination avec les structures : livret d’accompagnement du mentor, mode d’emploi du mentorat à destination des établissements et associations, livret Famille permettant de clarifier ce qu’il faut attendre du mentor et de poser la relation à établir avec les parents et l’enfant. Pour l’ensemble des organismes et personnes concerné.e.s, ces outils permettent d’encadrer au mieux les processus   Les établissements scolaires et programmes de réussite éducatives des villes sont les principaux pourvoyeurs d’enfants et jeunes à accompagner Pour exemple, la ville du Havre, très impliquée dans l’opération : sur les 150 bénévoles demandés par un collège, 31 ont déjà été mis en binômes et les familles se montrent satisfaites. « Et donc, raconte Fiona Soler, responsable de la mission, fait inhabituel, les sollicitations sont remontées du bas vers le haut ! Immédiatement, nous avons pu constater l’impact déterminant de cette stratégie de communication : ce sont les établissements qui sont  venus vers nous. En pénétrant le fonctionnement de l’Éducation nationale, nous avons répondu à un besoin ciblé des structures demandeuses, et cela de façon inédite. » Depuis, certaines académies se sont saisies du dispositif, convaincues que l’accompagnement individuel des enfants est une priorité absolue durant cette période qui fragilise davantage les élèves les plus faibles.    S’agissant des acteurs associatifs locaux, le volet formation est considérable et a nécessité la mise en place d’un suivi permanent. Ainsi, chaque semaine, un webinaire se tient à destination des mentors. Enfin, des référents locaux du Collectif Mentorat entretiennent un lien constant avec les organisations impliquées, afin de les accompagner au mieux.    L’Afev et le Collectif Mentorat sont en train de faire la preuve de l’efficience du dispositif « bottom-up ». Et si l’on considère les remontées du terrain sur le décrochage, la rentrée s’annonce plus difficile que jamais pour les élèves et les enseignants, après six mois hors de la classe habituelle. Dans cette perspective, il faut d’ores et déjà penser l’avenir proche : « Il importe de ne pas laisser le soutien scolaire aux entreprises privées », rappelle Eunice Mangado. Les étudiants, les actifs les retraités et même les très jeunes comme le lycéens   constituent des « viviers » de mentors prêts à s’engager massivement. Il faut leur donner  les moyens de devenir mentors et mieux reconnaître les compétences qu’ils retirent de cette expérience» Mais alors, l’opération MentoratdUrgence ne serait qu’un emballement ponctuel pour faire face à la situation d’urgence liée au Covid-19 ? Non, pas seulement : pour le moins, on y entrevoit les prémices d’une stratégie mutualisée à concevoir sur le long terme. Une révolution copernicienne qui viendra stimuler le rythme de l’action publique pour construire une société plus solidaire.   Sylvia Tabet

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