Une chronique de Nathalie Broux.
Quand Fatima est arrivée au Micro Lycée, elle avait « déjà » 19 ans, et le parcours tristement classique d’une « décrocheuse » : classes de seconde écourtées, réorientation en bac pro, abandon de l’école, ou par l’école selon le point de vue que l’on choisit. Comme pour tous les élèves déscolarisés, d’autres secrets se cachaient derrière ce décrochage. Pour Fatima : violences intra-familiales, chaos domestique à Belleville, à côté de chez nous. Et la misère aussi, édulcorée par quelques aides et autres substituts.Une société aveugle...
Fatima fait partie de la jeunesse invisible, coupable aux yeux d’une société aveugle, qui lui reproche de n’avoir pas su prendre sa place. Elle est toujours trop âgée (trop vieille à 19 ans !) : pour aller au lycée, pour être placée en foyer, pour avoir un contrat Jeune majeur, pour les aides aux mineurs, etc. Et puis elle est aussi toujours trop jeune : pour le RSA, pour la CMU parce qu’elle reste sur la Sécu des parents, pour le CROUS parce qu’elle n’est pas encore étudiante, etc. On ne lui pardonne rien : que réclame t-elle encore ? Pourquoi n’a t-elle pas voulu d’un bac pro miroiterie ? Pourquoi ne veut-elle pas entrer dans le monde du travail ? Fait-elle vraiment tous les efforts pour s’intégrer ? Il se trouve que Fatima veut retourner à l’école. Elle n’en a pas eu assez, elle veut se cultiver, figurez-vous. Elle veut faire des études supérieures, avoir un « bon » métier. Le monde adulte lui a presque tout volé, mais pas ses rêves. Pas son goût de connaître. C’est sa revendication à elle : avoir le bac, comme tout le monde, mais comme personne dans sa famille. Un vrai bac, pas celui des cas sociaux, comme elle dit. Un bac littéraire : la philosophie, les langues, la littérature, les arts plastiques, c’est ça qui l’intéresse. Etudier comme les gens qui ont le temps – le droit – d’apprendre, de grandir, d’être quelqu’un. Parfois elle sourit : « Comme les bourgeois », qu’elle confond avec « les intellos ».Pour une école qui regarde en face la valeur qu’elle a donnée au diplôme
Alors pendant deux ans, entre deux appels d’huissiers à propos de ses amendes, entre deux rendez-vous chez l’assistante sociale, entre deux nuits blanches, entre deux crises de panique où, écorchée vive, elle insultait ceux qui tentaient pourtant de l’aider (dont ses profs !), entre deux petits boulots perdus à cause de son comportement, Fatima a quand même étudié. Et obtenu son bac L, envers et contre tout. N’allez pas imaginer qu’elle est une exception. Et que l’école n’a rien à apprendre de ces jeunes-là, les gueules cassées. Nous pouvons encore changer de regard, et construire une école – et donc une société - inclusive, qui accueille la différence, qui autorise, qui s’adapte, et qui ne décide pas trop vite à la place des élèves qu’ils ne « sont pas faits pour les études », qu’ils sont « inadaptés », ou « qu’ils seraient mieux dans le monde du travail ». Une école qui regarde en face la valeur qu’elle a donnée au diplôme, et qui accompagne les jeunes vers ce sésame. Car si, comme il est de bon ton de le dire, « le bac n’est rien », on se permettra d’ajouter : « pour ceux qui l’ont ». Et pour Fatima, qui n’a rien d’autre, c’est déjà immense. Nathalie Broux, professeure au Lycée du Bourget et au Microlycée 93Partager cet article