Alain Bourdin – Professeur des universités – Lab’URBA (université de Paris-Est) – Directeur de la Revue Internationale d’Urbanisme- à accepté de contribuer lors du colloque « Le logement des jeunes : un enjeu d’innovation sociale » organisé par l’Afev. En préambule de son intervention, nous publions un article paru dans numéro hors série de la Revue Urbanisme consacré aux relations entre les campus universitaires et la ville. Ce point du vu alimente la réflexion sur les enjeux d’intégration de l’enseignement supérieur dans les politiques d’aménagement urbain. Ainsi, au delà du bâtit, il parait pertinent de mesurer l’apport au renforcement de la cohésion sociale que jouent les étudiants sur un territoire.
Alain Bourdin évoque « l’enjeu d’accrochage du campus à la ville ». Dans cette perspective, la présence de collocations solidaires dans les quartiers populaires participe de cette dynamique. Ce type de projet démontre que l’urbanisme ne peut délaisser les enjeux sociaux. De cette manière l’université, à travers la présence et les actions de solidarités menées par des étudiants, peut assumer pleinement sa responsabilité sociale. Cette conviction est renforcé, dans le cadre des « Kolocations à Projets Solidaires » (KAPS), par le fait que les nouvelles formes d’habiter modifie inévitablement le rapport au territoire et impacte socialement la vie des gens qui y résident.
Nous profitons de la publication de cette article pour annoncer le partenariat qui lie désormais la Revue Urbanisme et le Lab’Afev. En plus d’initiatives communes, nous relayerons à chaque sortie d’un numéro de la revue un article qui croise nos centres d’intérêts communs.
Photo : Le Festival À corps, à Poitiers : les étudiants dansent dans la ville
La révolution en cours des espaces universitaires
Un point de vue sur les mutations du monde universitaire français qui cherche sa voie entre différents modèles de campus et de relation à la ville. Par Alain Bourdin, sociologue et urbaniste (Lab-URBA)
Les universités françaises s’intéressent à la vie des campus. Bonne nouvelle, car les exigences de la croissance, les réformes permanentes, la complexité de la gouvernance universitaire ou encore les énormes différences de culture avec les collectivités territoriales ont souvent conduit à sous-estimer cette dimension ou à ne pas savoir la traiter.
Le mot campus reste omniprésent, mais l’on ne se préoccupe plus trop de la définition exacte de la chose. Les moralistes nord-américains qui l’inventèrent voulaient éloigner les étudiants des turpitudes de la ville – c’est pour cela que l’université de Montréal (francophone) a déménagé sur le flanc du Mont Royal, en laissant le champ libre aux anglophones de McGill dans le centre-ville –, alors qu’après 1968 de nombreux maires ont voulu des campus pour éloigner la ville des turpitudes (politiques) des étudiants. L’important ce n’est pas la forme urbaine, mais ce que le campus offre comme services, bien au-delà de l’enseignement et de la recherche, et ce qu’on peut y faire. Sur ce point, les Américains restent les plus forts. Du coup, on se réjouit de constater que l’on parle ici de contenus, de nouveau équipements, de nouveaux modes de gestion.
Désormais, l’on se préoccupe des nouveaux espaces (tiers-lieux et autres) qu’exige la révolution numérique, du besoin de flexibilité et de choix (dans les modes de restauration et de logement aussi bien que dans les loisirs ou l’organisation du travail), de l’individualisation des modes de vie qui produit de nouvelles formes de collectif et dans lesquelles le « mode projet » est central, de la qualité des ambiances car celle de la salle de cours classique ne suffit plus.
D’autant que de nouveaux profils apparaissent. On a connu l’étudiant professionnel d’origine bourgeoise, celui du Quartier latin. L’étudiant « régional » – celui qui venait étudier dans la capitale de sa région – l’a supplanté avec la démocratisation des universités. Dans l’université de masse, plusieurs types d’étudiants cohabitent : d’un côté, les hyper-locaux qui restent dans leur université de voisinage ; de l’autre, les hyper-mobiles qui vont fréquenter une série d’établissements, souvent avec un ou plusieurs passages par l’étranger. Les premiers se trouvent plutôt dans les premiers cycles et les seconds dans les masters, mais certains étudiants d’Orléans ont pu aller jusqu’au doctorat sans avoir besoin de franchir la Loire (qui coupe l’agglomération), alors que d’autres, à l’IUT de Figeac, étudient loin de leur résidence principale. Autre variante : les étudiants à temps plein contre les professionnels qui font des études. Les divers types qui naissent de la combinaison de ces facteurs correspondent à des modes de vie très différents et, comme la catégorie dominante l’est de moins en moins, il faut bien prendre en compte cette diversité de modes.
Le modèle du grand universitaire (qui habite sur la ligne de Sceaux, enseigne au Collège de France et va en vacances dans des stations balnéaires sans grand attrait mais où il rencontre ses pairs) tout comme celui du petit universitaire (de province !) ont disparu depuis longtemps. Aujourd’hui, les segmentations sont assez fortes. Entre les vedettes médiatiques nomades (de conférence en colloque) des grandes chaires nord-américaines, les enseignants « secondarisés » ou très dévoués aux étudiants, les chasseurs de contrat qui peuvent aligner leurs scores en fin d’année, les précaires, les jeunes chercheurs des grands réseaux, les spécialistes de gestion universitaire, etc., les différences de perception, d’attentes et même de modes de vie se creusent. Il faut pouvoir les faire vivre ensemble et éviter les campus centrifuges.
Se pose bien vite la question de la présence de la ville sur le campus, ou de l’accrochage du campus à la ville. Où que l’on se trouve, et même si les campus sont utilisés beaucoup plus longtemps qu’autrefois dans la journée et dans l’année, la séparation ne semble pas idéale, tout au plus une contrainte dont on ne trouve pas les moyens de se défaire. Pour au moins la limiter, la coopération entre collectivités et université s’impose, ainsi que la mise en place de nouveaux dispositifs de gestion. Le management de campus est évoqué : demain, dans certains quartiers universitaires, il faudra le mixer avec le management de centre-ville.
L’UNIVERSITÉ DE DEMAIN
Mais on n’en a pas fini avec demain, car les mutations universitaires à venir sont considérables. Les Français sont entrés avec retard dans le modèle universitaire de la deuxième moitié du XXe siècle. Ils l’adoptent à marche forcée. Mais il va falloir entrer dans celui du XXIe siècle. Un seul indice de ce chemin à parcourir : à l’université de Lorraine, on parle désormais de « marque ». Effectivement, certaines universités (en particulier les plus célèbres) deviennent des marques que l’on peut vendre et qui sont gérées comme telles. Qu’on s’en choque ou qu’on l’accepte, cela exprime une transformation encore à son début.
Le monde universitaire s’oriente à assez court terme vers deux modèles, pas nécessairement antagonistes.
Les universités de recherche s’organiseront autour des laboratoires et du doctorat. Quel que soit leur statut juridique, elles mêleront recherche publique et privée, à but lucratif (grands groupes) et non lucratif (fondations, etc.). Elles chercheront la proximité de grands parcs scientifiques, de grands hôpitaux et centres de santé, mais aussi de rassemblements de start-ups – les grands groupes ont déserté le parc scientifique de Louvain-la-Neuve, remplacés avantageusement par des petites entreprises qui entretiennent des relations intenses avec les laboratoires. Elles auront un nombreux personnel permanent, qu’elles souhaiteront garder dans leur voisinage, accueilleront beaucoup de jeunes chercheurs (doctorants à demeure ou en mobilité), des chercheurs de passage (pour une semaine, un mois, un an) et, pour toutes ces raisons, consommeront beaucoup d’aménités urbaines. Pour elles, l’idéal sera sans doute la ville universitaire ou le quartier universitaire, même si les risques « d’académification » (au-delà de la studentification) posent des problèmes.
Les réseaux de formation universitaires, complètement tournés vers l’enseignement, s’appuieront sur des grandes plates-formes digitales ou tout autre technologie numérique et favoriseront le travail à distance. En même temps, la formation par projets collectifs sera fortement valorisée – on le voit dans certaines grandes écoles –, ce qui implique le rassemblement. Par ailleurs, les réseaux pourront valoriser une diversité de contextes, comme le font déjà certains établissements (notamment les écoles de gestion) à travers leurs campus à l’étranger, sauf que cela se fera de manière beaucoup plus « micro » (on rassemble quelques dizaines d’étudiants dans un tiers-lieu) et diversifiée. Ces réseaux auront besoin d’espaces symboliques (Aula Magna, learning center, etc.) pour marquer leur identité de lieux de rassemblement et de travail en projet. Une autre évolution possible est la constitution de grands villages universitaires dans lesquels on trouverait tous les services (y compris d’aide aux études) dont les étudiants ont besoin, mais pas d’enseignants ni de salles de cours, juste des lieux de projet. Cela existe déjà. La consommation croissante d’aménités urbaines, associée à l’intérêt quasi unanime des responsables locaux pour la présence étudiante en centre-ville, ne justifie plus que l’on établisse de tels lieux en périphérie – excepté pour saisir des opportunités foncières.
La manière dont les responsables universitaires et leurs partenaires combineront ces évolutions dessinera le visage de l’université de demain. Il s’agit là de choix politiques, avec des conséquences lourdes. Mais, dans tous les cas, c’est dans un jeu d’intégration à la dynamique urbaine et en particulier à ses centralités que se construiront les nouveaux dispositifs universitaires.
Alain Bourdin
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