JRES : une édition régionale, pour Marseille/PACA

JRES

Cette année, la Journée du refus de l'échec scolaire (JRES) de l'Afev continue à étendre sa surface et à diversifier ses formes : après une 13ème journée organisée en France le 23 septembre 2020, et une deuxième édition au Canada, c'est en région Provence Alpes Côte d’Azur et à Grenoble que se tiennent ou se sont tenues des "éditions régionales", avec les acteurs locaux. Exemple à Marseille, le 10 novembre dernier : une visioconférence y a réuni 120 personnes, organisée et animée par Candice le Tourneur, Déléguée régionale PACA, avec les équipes locales. 

Introduction

La conférence était introduite par Marie-Florence Bulteau-Rambaud, Conseillère régionale Sud Provence-Alpes-Côte d'Azur, Présidente de la Commission "Lycée, orientation, formation professionnelle, emploi et jeunesse". « Cette année 2020 marquera, je l'espère, une prise de conscience », a-t-elle indiqué, « après une première période de crise sanitaire qui a bien marqué les inégalités, les différences et les problèmes de décrochage de nos lycéens. » Dans le cadre de sa délégation, elle tente « de mettre en place des outils pour essayer d'aider un maximum de jeunes. » Son propos liminaire a été suivi par celui de la Directrice des programmes de l'Afev, Eunice Mangado-Lunetta, qui a fait le lien entre les événements parisien et marseillais, rappelant en quoi « les équipes éducatives et celles de l'Afev, pendant le premier confinement et particulièrement dans la région Sud Provence-Alpes-Côte d'Azur, ont travaillé main dans la main pour accompagner à distance les enfants les plus fragiles » : bascule des opérations en distanciel et mise en place, avec le Collectif éponyme, de près de 4 000 mentorats supplémentaires à l'échelle nationale. Elle a aussi indiqué que « pendant cette période très dure, il s'est aussi passé de très belles choses : des milliers de personnes se sont engagées pour aider, des relations inédites entre parents et profs se sont nouées... » Pour autant, « le défi reste immense, sur lequel il nous appartient de nous mobiliser.

Débrouille et numérique

Avant de commencer à donner la parole à des acteurs variés, offrant chacun des éclairages nécessaires au plus près du terrain, Candice le Tourneur a présenté Laurent Heiser, de l'Institut national supérieur du professorat et de l'éducation (Inspé) de l'Académie de Nice et docteur qualifié en sciences de l'information et de la communication. L'occasion de « partager un retour d'expériences sur la créativité des enseignants stagiaires de l'Inspé de Nice pendant le confinement, et sur la façon dont ils ont gardé le lien avec les élèves. » Pour lui, « la situation actuelle est loin de nous assurer la sérénité dont nous aurions besoin pour assurer nos activités, en particulier, de service public », et il a fallu, au printemps déjà, « aller chercher de l'énergie au-delà de la fatigue », dans une situation inédite : enseignement à distance forcé, dégradé... Il a ainsi mis en lumière les actions inventées par des « enseignants novices, arrivés avec leurs inquiétudes » - ou comment des « "digital natives" non naïfs sont parvenus à s'adresser à des "digital natives" naïfs. » Comment poursuivre le programme, maintenir la relation éducative, « prendre soin des élèves et de leurs familles » ? En mettant en œuvre, « pour assurer la continuité pédagogique », des dispositifs « en discontinuité avec les pratiques habituelles de la classe, sans les repères de la forme scolaire traditionnelle. » D'où une « énergie impressionnante » mise en œuvre pour réaliser « du bricolage, de la débrouille » - du Do-it-yourself parfois inspiré des youtubeurs. Des initiatives personnelles mises en commun par des enseignants connectés sur des réseaux sociaux, avec « des stratégies numériques mises en place pour assurer leurs missions tout en complétant leur formation, interrompue par la crise. » Des initiatives, aussi, que Laurent Heiser a rassemblées au sein d'un réseau qu'il a animé, pour encourager et saluer les bonnes pratiques. 

Par son intervention, Laurent Heiser a braqué le projecteur sur un recours à la technique numérique, par des digital natives, « qui semble avoir bien fonctionné, et a été propice à des rapports apaisés avec les élèves et les familles. » Ainsi, cette utilisation assumée d'outils « non-institutionnels renforce un phénomène de porosité, ou de percolation des usages, qui s'est accéléré en période de confinement, et a permis parfois d'aller plus loin que ce que permet la réglementation des établissements », avec même, parfois, un « renversement des rôles entre enseignants tuteurs et enseignants tutorés. » Ce qui pourrait modifier, chez ces jeunes enseignants et « à l'avenir, la représentation de leur rôle et de la manière de "faire la classe". Il y a sans doute ici une opportunité à saisir. »

Constats des inspecteurs

 Le deuxième temps de cette JRES a été ouvert par un sondage, permettant de « se mettre en jambe » et de donner quelques chiffres importants : 30% des jeunes scolarisés en éducation prioritaire désengagés pendant le confinement ; 577 jeunes accompagnés individuellement par l'Afev PACA pendant le confinement... Patrick L'Hospital, vice-Doyen du Collège des inspecteurs de l’Éducation nationale du second degré et Responsable des associations complémentaires, est ensuite intervenu pour parler de la manière dont les enseignants avaient été "préparés" à l'utilisation des pratiques numériques, a fortiori dans un cadre aussi particulier. « Question difficile, a-t-il indiqué, d'autant qu'en tant qu'inspecteurs, on a rapidement pu constater que tous n'étaient pas prêts, et qu'ils ne le sont sans doute pas encore tous aujourd'hui. » Au niveau académique, des formations sous forme de webinaires ont été mises en place, « de manière plutôt efficace, en fonction des besoins détectés par les professeurs pendant le confinement. » Dans tous les cas, il estime que « les professeurs doivent maintenir le lien socio-affectif avec les élèves, ce qu'ils parviennent bien à faire encore aujourd'hui », à condition qu'une part de "présentiel" soit assurée. D'ailleurs, fort de l'expérience d'une « quinzaine d'établissements visités depuis la rentrée » (notamment des lycées professionnels), il apparaît que « les élèves comme les professeurs ont été très contents de se retrouver, mutuellement. » Il a enfin donné quelques « exemples positifs », comme celui du professeur d'un établissement plutôt en tensions, qui est « parvenu à maintenir un lien pendant le confinement, à distance sur une plateforme qui n'est pas du tout recommandée au niveau RGPD, avec une de ses classes quasiment au complet... C'est ça, aussi, qui fait l'enseignement. »

La parole du rectorat 

 A sa suite, le proviseur et conseiller technique Vie scolaire au Rectorat de l'Académie d'Aix-Marseille Eric Rusterholz a parlé des forces et des faiblesses de l'institution scolaire face à la crise sanitaire : au rayon des faiblesses, « une certaine inertie du mastodonte de l’Éducation nationale », des problèmes liés à « la cohérence de l'ensemble, quand on a des professeurs qui disent par exemple n'avoir pas Internet chez eux », et plus encore « des élèves de quartiers défavorisés, qui sont souvent démunis », en manque de matériel et de connexion, « parfois dans des fratries nombreuses. » Une enquête du Rectorat, réalisée auprès de 4608 jeunes, indique par exemple que 80% d'entre eux avaient travaillé pendant la séquence sur un PC, et 50% un téléphone (« je vous laisse imaginer la difficulté technique... »), avec globalement un constat de bonne qualité du réseau, un resserrement des liens familiaux, une bonne utilisation de Pronote (95% des élèves)...  et si 83% des jeunes ont pu assister à des cours en visio, la moitié a pu le faire toutes les semaines. « Il faut donc valoriser ces enseignants qui - en partant de rien, parce que le confinement a surpris tout le monde -, s'y sont mis, pour apporter ce qu'ils pouvaient, techniquement, à leurs élèves. » Autres points de vigilance : la durée des épisodes de confinement (les jeunes interrogés ont fait part d'un problème croissant de motivation sur la durée) et les problèmes d'organisation personnelle. En outre, selon lui, l’Éducation nationale n'a peut-être pas assez écouté, au mois de juin, ceux en son sein qui en appelaient à une organisation anticipée de l'enseignement à distance, dans l'hypothèse d'un éventuel reconfinement : « On a tous, sans doute, espéré à tort que nous n'y retournerions pas. » En revanche, au niveau des académies, a été mise en place une procédure de fourniture de matériel et de clés 4G par les collectivités. Pour résumer : « Nous sommes dans une situation évidemment dégradée, qui va avoir des conséquences lourdes sur les inégalités scolaires. Aussi, il faut à tout prix poursuivre la réflexion, et accompagner au mieux les actions. » Ne pas cesser de rappeler, aussi, que dans leur très grande majorité, « il tient à cœur des professeurs de garder le contact avec leurs élèves. On veut que nos jeunes reviennent, même en développant des modèles hybrides, même un jour sur deux, et même si nous nous trouvons sur une ligne extrêmement fragile. »

Grande diversité des intervenant.e.s

Côté collectivités, Pierre Huguet, adjoint à la Maire de Marseille en charge de l'éducation, des cantines scolaires, du soutien scolaire et des cités éducatives, a affirmé l'intérêt de la nouvelle équipe municipale pour cette question « de l'éducation au sens large », à laquelle pas moins de quatre adjoints sont dédiés. Leur objectif ? « Mieux articuler les temps scolaires », notamment à travers les "cités éducatives" (présentées par Mathilde Combe, chargée de mission pour la Ville sur ce sujet) et le soutien scolaire (études surveillées et "ateliers Mars", désormais ouverts aux grandes sections, en plus des cycles 2 et 3). D'autres intervenants ont eu l'occasion de s'exprimer pendant cette journée de réflexion, comme Marie-Sarah ou Youssef, étudiants qui furent ou sont encore bénévoles à l'Afev, et ont décrit leur mentorat au cours de la période de confinement. Globalement, une expérience enrichissante pour tous, qui renforce l'assurance en soi des enfants, et en l'occurrence a permis d'éviter qu'ils ne cèdent à une forme de panique. La parole fut aussi donnée à Mickaël Crolet, Délégué territorial aux actions éducatives de l'Afev à Marseille, qui a présenté le prochain projet Ambassadeurs du Livre développé sur son territoire ; à Oualid, agent de prévention et de sécurité au lycée professionnel Vauban à Nice, qui avait mis en place des activités périscolaires (ateliers d'expression, de dessin) pour lutter contre le décrochage, avant le confinement ; ou encore à Céline Gargallo, volontaire en service civique dans le même lycée, qui a indiqué le plaisir apparent des élèves à revenir en cours dès la rentrée. Pour elle, « ce qui peut vraiment nous sauver, en cas de reconfinement, ce sera la multiplication des accompagnements individuels. » De son côté, Nathalie Arnaud, proviseure adjointe du lycée professionnel La Calade, à Marseille, a expliqué en quoi les "Terminales" ont été moins touchés au printemps par le décrochage scolaire (« On a même eu un phénomène de raccrochage pour une dizaine d'entre eux ! »), quand le lycée estime « avoir alors perdu la quasi-totalité des élèves en CAP et première année, et eu beaucoup de mal même à joindre les familles » - et ce, malgré un énorme effort et des dispositifs spécifiques mis en place par l'établissement : « De la débrouillardise, dans tous les sens du terme et de la part de tout le monde. » Globalement, tous ces témoignages concordaient sur une crainte réelle qui pèserait sur les parcours éducatifs en cas de reconfinement scolaire...  

François Perrin

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