Le mercredi 10 novembre dernier se tenait, à la Maison de l’Etudiant de Nice, une Edition régionale de la Journée du refus de l’échec scolaire (JRES), soutenue par le Conseil régional Sud Provence Alpes Côte d’Azur. L’occasion de faire le point sur les inégalités scolaires, sur ce territoire comme à l’échelle hexagonale. Zoom sur les deux premières séquences.
Pour la séance d’ouverture, Jennifer Salles-Barbosa, Présidente de la Commission "Lutte contre les inégalités, Solidarités, Défense des droits des femmes" au Conseil régional Sud Provence Alpes Côte d’Azur a rappelé que la jeunesse « était inscrite depuis six ans au rang des priorités » de cette région, visant « la réussite scolaire de tous les lycéens de son territoire » (via, pour 2021, une enveloppe de 282 millions d’euros, en plus d’actions sur la santé, les transports, les loisirs, le logement, l’emploi, la sécurité, et un soutien financier direct, notamment, à l’Afev…). Dans les faits, « la peur de l’échec scolaire est aujourd’hui prégnante chez certains élèves » - d’autant plus quand ils vivent dans des zones d’éducation prioritaire -, ce qui « est source de stress et de tensions. » A ce titre, le « désamour de certains envers notre école de la République » s’illustre par le chiffre d’un élève de Rep et Rep+ sur quatre n’aimant pas s’y rendre. Elle a conclu son propos en mentionnant la nécessaire lutte contre la violence, « et plus particulièrement le harcèlement scolaire, qui constitue l’une des principales causes du décrochage scolaire. » Ainsi, a-t-elle rappelé, « l’engagement de notre région Sud est total pour sa jeunesse. »
De son côté, la Directrice des programmes de l’Afev Eunice Mangado-Lunetta est revenue sur les motivations de cet événement-plaidoyer annuel, rappelant que la notion de « refus » de l’échec scolaire (inspirée par le « refus de la misère » porté par ATD Quart-Monde) avait été initialement ressentie comme « un peu dure » par certains partenaires. Pour l’Afev, au contraire, « exprimer un refus, c’est d’abord montrer qu’il est possible de refuser » - en agissant concrètement, grâce à la mobilisation étudiante -, « que l’on peut réduire l’échec scolaire en y travaillant, jusqu’à aboutir peut-être à une société où les inégalités scolaires ne seraient plus de mise. » Ceci d’autant que « la caractéristique du système français, c’est qu’il est le meilleur pour faire réussir les meilleurs, et le moins performant pour faire réussir les plus fragiles. » Dans la période actuelle, particulièrement compliquée, il s’agit désormais de tirer des enseignements : sur la manière dont ont changé « le paysage de l’éducation, les relations pédagogiques, les alliances éducatives », ainsi que la perception de l’école dans l’opinion publique ; sur les raisons pour lesquelles les enfants de zones prioritaires ont particulièrement souffert de la crise sanitaire… Pour conclure, elle a remercié la Région Sud Provence Alpes Côtes d’Azur de n’avoir « pas attendu le momentum actuel concernant le mentorat pour accompagner nos actions, parce que vous y avez cru très tôt. »
Regard de sociologues
Interrogés par Anaïs Sautier, Chargée de développement local à l’Afev Aix-Marseille, puis abondamment questionnés par la salle, l’enseignante-chercheuse en Sciences de l’éducation à l’Université d’Aix-Marseille Caroline Hache et le sociologue François Dubet ont alors eu l’occasion de donner leur point de vue sur les meilleurs moyens de réduire les inégalités éducatives. Déplorant le fait « que l’on a fini par s’habituer » aux écarts éducatifs entre jeunes issus ou non de l’éducation prioritaire, et soulignant que « la crise sanitaire a surtout contribué à révéler les secrets de Polichinelle que l’on faisait semblant de ne pas voir » (François Dubet), ils ont commencé par rappeler que la « concentration des élèves semblables » ("bons" ou "fragiles") était source de problèmes - certaines expérimentations de mixité "forcée" à Toulouse ou Paris ayant permis de le démontrer a contrario. Quand les problèmes de discipline sont prégnants, grevant le temps d’apprentissage, le « manque à apprendre » des moins favorisés tend à se cumuler d’année en année, tandis que des « cultures anti-scolaires » s’ancrent dans les usages. Face à cela, il conviendrait, en plus de favoriser cette mixité, de « constituer des équipes pédagogiques efficaces, de les encourager et de les mobiliser » sans continuer à faire mine de croire, respectueux de notre culture scolaire, que « tous les établissements sont identiques. »
Pour améliorer la situation, les études l’ont montré : la réduction du nombre d’élèves par classe, « qui coûte très cher », ne suffit pas. Il faut donc s’interroger plus concrètement : « Que peut-on faire avec une classe à 15, a lancé Caroline Hache, que l’on ne pouvait pas faire avec une classe à 30 ? » En gagnant de l’espace physique, on augmente par exemple la liberté de mouvement, la quantité de matériel mobilisable, etc. « On va apprendre les mathématiques, mais en réalisant des projets, ce qui était difficile avec 30 élèves… » De la même façon, selon François Dubet, « le transfert du travail scolaire à la maison » favorise les inégalités, « ce que l’Afev est bien placée pour constater. » Cela consiste en effet à « demander aux parents de devenir des auxiliaires pédagogiques », rôle que tous n’ont ni le temps ni les capacités d’endosser. Ainsi, « soit l’école ne doit pas donner de travail transféré, soit elle doit bien spécifier de quel travail il s’agit, et comment il se fait. » En revanche, il convient à tout prix d’améliorer « le climat scolaire » - c’est-à-dire la confiance générale des élèves quand ils se rendent dans leur établissement -, et d’augmenter le « temps scolaire » - qui ne cesse, dans les faits et pour le pire, de diminuer, forçant les enseignants à se dépêcher de « faire le programme » plutôt que de « faire faire concrètement des choses aux élèves ». Selon le sociologue, « il serait sans doute moins inégalitaire de mettre les jeunes en situation de produire quelque chose » plutôt que de se borner à leur imposer des « exercices scolaires ».
Concernant les liens entre les parents et l’institution scolaire, Caroline Hache a identifié plusieurs "catégories de parents" dans les parcours d’excellence : face à des parents investis, des parents "dépassés". Pour elle, « les parents opposés à l’école ou dits "démissionnaires" n’existent pas, ou de manière extrêmement minime », alors qu’ils existent bel et bien… dans le discours institutionnel de l’école. D’autant que pour les jeunes eux-mêmes, l’immense majorité considère les parents comme interlocuteurs privilégiés sur ces questions. D’où la nécessité de développer (comme en ce moment dans une école maternelle de Marseille ou un collège de Paris), des expérimentations dites "classes ouvertes" - qui ouvrent les portes de la classe aux parents, « ce qui fait beaucoup évoluer leur rapport à l’école et aux apprentissages. » François Dubet, lui, a envisagé l’existence « d’une sorte d’illusion d’harmonie possible entre les parents et l’école », tout en reconnaissant qu’il faut « a minima que les parents sachent ce qui se passe au sein des établissements. » Ce qui est rendu particulièrement nécessaire dans la mesure où « si les pédagogies n’avaient pas énormément bougé entre Jules Ferry et Charles de Gaulle », les parents peinent beaucoup plus aujourd’hui à saisir les subtilités de pédagogies très évolutives. « Il faut donc les informer », mais ne pas ignorer non plus qu’aujourd’hui, « des parents investissent dès la maternelle dans leurs enfants comme dans de futurs champions », alors que d’autres pensent toujours que l’enseignement délivré n’y est que très sommaire - ce qui contribue fatalement à renforcer les inégalités dès le plus jeune âge.
François Perrin
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