Le 22 septembre dernier se tenait, en présentiel et en ligne, la 14ème édition de la journée du refus de l’échec scolaire (JRES), organisée par l’Afev et ses partenaires en l’auditorium du journal Le Monde. Son programme était clair : « Après la crise, accélérons la lutte contre les inégalités éducatives ! ». Focus sur deuxième temps, consacré à "déboulonner" certains mythes sur l’égalité ou l’intensité du projet politique en matière de lutte contre les inégalités scolaires.
Afin de s’interroger sur les meilleures politiques éducatives à adopter pour lutter efficacement contre les inégalités scolaires, Soazig Le Nevé accueillait sur scène Yann Forestier, historien de l’éducation (CAREF / Université de Picardie-Jules Verne), auteur de L’école en perspective (L’Harmattan, 2020) et Ismaël Le Mouël, co-fondateur et ancien président de HelloAsso, membre du comité stratégique de Etreprof.fr.
L’échec scolaire : appréhension historique
Le premier a présenté « quelques zooms sur des moments de la politique de lutte contre l’échec scolaire », annonçant d’entrée et avec humour qu’il « aurait du mal à dégager celles, parmi les politiques éducatives menées jusqu’alors, qui auraient été efficaces. » En partant de l’école de la IIIème République – « qui occupe une place extrêmement forte dans notre imaginaire » -, il a constaté que cette dernière « était indifférente à l’échec scolaire, même si ce dernier existait de manière massive, très fortement corrélé d’ailleurs à l’origine sociale. » En observant cette époque, on ne peut observer selon lui que « la rareté des
questionnements et remises en cause du système scolaire. »
Ainsi, cette question « n’arrive que très tard dans le débat public » - l’écho médiatique à ce sujet ne surgissant qu’en octobre 1987, autour du rapport Andrieu qui, pour le Conseil économique social, chiffre le coût de l’échec scolaire à 100 milliards de francs. Ainsi, il apparaît que « la démocratisation de la réussite n’était pas un objectif prioritaire de l’école - ce qui n’a jamais fait l’objet, avant cela, d’un débat national. » Par conséquent, « cette préoccupation est venue de façon progressive, au gré d’évolutions lentes, insensibles, d’ajustements et d’adaptations souvent improvisés, d’actions sur le tas. » Or on le sait, « s’il
n’y a pas un vrai choix politique, fortement débattu, élaboré et tranché, les chances qu’un objectif soit pleinement assumé restent faibles. »
Du point de vue de Yann Forestier, la première mesure de lutte contre l’échec scolaire date de 1982, avec la politique d’éducation prioritaire et la création des ZEP. Une mise en place qui a été permise « non par une loi ni un décret, mais par une simple circulaire – soit le texte juridique le plus bas dans la hiérarchie des textes juridiques -, alors même qu’il s’agissait d’un changement paradigmatique profond, puisqu’il remettait en cause le principe de l’égalité formelle. » Ceci, afin d’éviter le débat politique ; il s’est donc agi, à ce titre, d’une occasion manquée de prendre le sujet de face, qui n’a pas permis aux acteurs de terrain de prendre la
mesure du changement en cours.
Il a également livré, en analysant l’usage fait du redoublement au fil du temps, son point de vue sur la question. Répondant à l’origine « au refus de faire passer dans la classe dédiée les élèves qu’on ne jugeait pas capable de préparer le certificat d’études » (et donc à des visées élitistes), il a ensuite été pensé au contraire, « de manière incidente », comme une seconde chance offerte aux élèves en difficulté – et donc « un moyen de lutter contre l’échec scolaire, certes extrêmement imparfait ».
Idem pour les classes de transition des années 60, devenues CPPN dans les années 70, et, indirectement, formations professionnelles et technologiques ensuite ; un réel effort pour venir en aide aux plus fragiles, ou aux moins disposés à des études longues, mais perçu au même moment comme « un moyen de libérer les filières générales des jeunes qui posaient problème. » Ce qui a convaincu le chercheur d’estimer que « l’école française lutte d’abord contre l’échec scolaire en mettant à part les élèves en difficulté, ayant toujours eu beaucoup de mal à appréhender des parcours différenciés autrement que par le prisme de l’exclusion... »
Face à cette approche assez peu constructive, « on a imaginé, sans doute, à tort, que les enseignants eux-mêmes, mis en situation d’insécurité, trouveraient à leur niveau des solutions » - une logique à l’œuvre, par exemple, lors de la mise en place du Collège unique, et qui a induit une mauvaise compréhension par les enseignants de l’intérêt de la réforme du collège de 2016, de l’évaluation par compétences et de l’injonction actuelle à la bienveillance. Un rapport tendu, en somme, entre une gestion très directive, très règlementaire et la création d’espaces d’autonomie des acteurs pour lutter contre l’échec.
La méritocratie sur le gril
C’est ensuite sur le concept de méritocratie que s’est penché Ismaël Le Mouël, suite à une tribune signée récemment dans Le Monde et à une série d’ouvrages et d’articles parus sur le sujet en cette rentrée. Issu lui-même d’un milieu modeste, et pourtant diplômé de l’Ecole Polytechnique, on pourrait « intuitivement penser que [son] parcours confirme que tout le monde a sa chance dans notre système éducatif. » Pour autant, il considère la méritocratie comme « le contraire d’un beau projet politique », dans la mesure où elle laisse entendre « que si vous avez suffisamment de talent, si vous faites suffisamment d’efforts, vous allez pouvoir avoir du succès éducatif ou dans la société »... mais aussi, a contrario, que « si vous n’avez pas de succès, c’est parce que vous n’avez pas les capacités, ou parce que vous êtes paresseux. »
Or, « on le sait aujourd’hui, cette idée est fausse. Aujourd’hui, en France, si vous naissez dans une famille pauvre, vous avez toutes les chances de le rester. Nous ne sommes donc pas dans une méritocratie, mais bel et bien dans une "héritocratie". » Mais au-delà du constat, Ismaël Le Mouël considère « ce projet politique comme totalement vicié », même si les efforts des associations qui œuvrent pour l’égalité des chances restent à saluer. De manière provocatrice, il s’est demandé « ce que serait une société où l’égalité des chances a été réalisée, où tout le monde a la même chance ? Au fond, ce serait toujours une société inégalitaire, avec des gagnants et des perdants du système. Ainsi, l’idée de l’égalité des chances ne résout pas l’inégalité, ce qui constitue un vrai problème. »
Revenant sur son parcours, il a souligné le peu de diversité sociale régnant dans les établissements de prestige, mais surtout le fait que tous ses camarades « étaient convaincus d’être à cet endroit-là du fait de leur mérite plutôt que de leur naissance. » Face à eux, « toute une partie de la population, essentiellement non diplômée, revendique désormais le fait que les élites la méprisent – le problème étant... qu’elle a raison, et que sa plainte est légitime, même si l’expression de cette colère reste discutable », dans un certain nombre de cas récents (élection de Donald Trump, Gilets Jaunes...).
Pour sortir de l’ornière, il s’agirait d’abord « d’abandonner cette idée qu’on a le choix, et reconnaître la part de chance, de déterminisme, voire de hasard » qui distingue les parcours des uns et des autres, au niveau des succès comme des échecs individuels. Et ainsi, « plutôt que de rechercher une égalité des chances, rechercher une égalité des reconnaissances. » Reprenant les propos de Martin Luther King, il a rappelé alors qu’un éboueur et un médecin participaient tout autant au système de soins – le non-ramassage des poubelles augmentant la prolifération des maladies. Il faut donc « tendre vers l’idée que les vraies victimes du système scolaire, ce ne sont ni les élèves ni les collégiens, mais en premier lieu ceux qui en sortent sans diplôme, et par conséquent ne sont pas reconnus par la société » : éboueurs, soignants, caissiers de supermarchés, chauffeurs de bus... « Soit tous les gens, a-t-il conclu, que nos sociétés oublient aujourd’hui d’honorer, alors qu’ils tiennent nos institutions et notre système... sans même parler de l’épisode récent d’un Président de la République poussant jusqu’à dire qu’ils "ne sont rien"... »
François Perrin
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