Le 22 septembre dernier se tenait, en présentiel et en ligne, la 14ème édition de la journée du refus de l’échec scolaire (JRES), organisée par l’Afev et ses partenaires en l’auditorium du journal Le Monde. Son programme était clair : « Après la crise, accélérons la lutte contre les inégalités éducatives ! ». Focus sur un troisième temps, consacré au recueil de la parole des enseignants, élus, membres du gouvernement ou fondations qui renforcent quotidiennement la puissance des alliances éducatives.
Pour « basculer la focale sur les acteurs de cette lutte contre les inégalités éducatives », au premier rang desquels « les enseignants eux-mêmes », la journaliste au Monde et animatrice du débat Soazig Le Nevé a, dans un premier temps, interrogé par visioconférence Asma Benhenda, chercheuse à l’University College de Londres – au sein du Centre for education policy and equalising opportunities -, par ailleurs autrice de Tous des bons profs, un choix de société (Fayard,2020).
Les enseignants : quel statut, quelle rémunération ?
Spécialisée sur la question du système éducatif et du bien-être professionnel des enseignants, cette chercheuse a posé en introduction un constat sévère : la gestion de ces derniers, en France, contribuerait selon elle à la perpétuation des inégalités scolaires. Partant, en économiste, de données statistiques délivrées notamment par le Ministère de l’éducation nationale, elle a constaté un « vécu extrêmement hétérogène de la crise sanitaire » par les enseignants, avec « de fortes disparités entre ceux des établissements les plus défavorisés et les autres » - susceptibles, à long terme, de rendre les choses encore plus difficiles pour les élèves les moins bien lotis. Des conséquences « qui ne seront pas forcément visibles immédiatement », mais deviendront évidentes au fil du temps.
« Acteurs les plus centraux du système éducatif, a-t-elle poursuivi, les enseignants sont en contact direct avec les élèves, et ont le plus d’impact sur leur trajectoire scolaire puis professionnelle. » Pour autant, en France comme ailleurs, « il y a un décalage net entre cette importance sur le terrain et la réalité des moyens qui leur sont alloués. » Pour Asma Benhenda, tous les problèmes sur ces questions découlent de « ce manque de prise de conscience. » Ainsi, « pour agir à long terme sur les inégalités scolaires, le levier le plus rentable, ce sont bel et bien les enseignants. »
Or l’on dispose « d’une grosse marge de manœuvre pour pallier ce paradoxe », qui s’illustre par la crise des vocations à l’œuvre au Royaume-Uni comme en France (poussant à une contractualisation accrue, et problématique, de la profession). Il s’agit en premier de « revaloriser, de manière beaucoup plus marquée qu’actuellement, les salaires des enseignants. C’est-à-dire, comme ils sont depuis la masterisation titulaires d’un Bac+5, de les rémunérer au moins à la hauteur de leur diplôme... » Ce qui permettrait « d’enclencher une dynamique totalement différente sur le marché du travail des enseignants. »
Les cités éducatives : une expérimentation
A son tour, Sylvie Charrière, ancienne principale d’un collège REP+ à Clichy-sous-Bois, députée de Seine-Saint-Denis et membre de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, a eu l’occasion d’exposer son point de vue sur cette « expérimentation que sont les cités éducatives » – en tant que Présidente de leur Comité national d’orientation et d’évaluation. Suite à une crise sanitaire qui n’a pas permis à cette expérience de se développer dans des conditions normales, « les cités éducatives, en tant qu’alliance de nombreux acteurs sur les territoires, ont su s’adapter sur la base d’un réel pacte de confiance. »
Nées des propositions de Jean-Louis Borloo, les cités éducatives ont été testées à Grigny en 2016, grâce aux efforts du sous-préfet Vincent Léna, afin de « lutter contre les silos, travailler sur les alliances éducatives, dire qu’il faut intensifier les prises en charge au niveau des élèves à 360 degrés – avant, pendant, autour, après l’école, cette dernière ne pouvant pas tout faire toute seule » ni sans une connexion intense avec son territoire. Grâce à « une enveloppe de 100 millions d’euros tous les ans », appelée à augmenter, cette « démarche expérimentale » a rapidement embarqué 86, puis 132, bientôt 200 territoires (en difficulté et volontaires), en ciblant à la fois, sur la base d’un constat bâti localement,« la réussite scolaire, la petite enfance, la culture, le sport, la santé, la persévérance, la citoyenneté, la mobilité, l’engagement, la formation, l’orientation, l’accès à l’emploi et évidemment la parentalité... » Ainsi, a contrario d’une démarche descendante, « tout part de la volonté et d’un engagement des acteurs des territoires. »
Sur cette base, « il existe un cahier des charges, qui évolue au fil de l’eau », grâce à un recueil et une analyse des premiers retours de terrain – tout ceci contribuant à un réel « changement de paradigme pour l’école, qui doit désormais s’ouvrir et travailler avec son territoire » : diagnostics partagés, cartographie des acteurs, alliance dans la gouvernance, projet stratégique, plan d’action, démarche qualitative avec évaluation et étude d’impact... Ce qui, accessoirement, « embarque également l’Education nationale dans le monde politique local, et pose donc des questions en termes de continuité. » Parallèlement, des groupes de travail thématiques (petite enfance, mobilité, émancipation, orientation, insertion, construction du projet personnel...) ont pu se mettre en place, dans cette dynamique, sur certains territoires.
Insertion et mentorat
Cette séquence dense a été suivie d’une communication vidéo de Thibaut Guilluy, Haut-Commissaire à l’emploi et à l’engagement des entreprises au Ministère du Travail, qui met en œuvre au sein du gouvernement le programme « 1 jeune, 1 solution » (et sa déclinaison « 1 jeune, 1 mentor »). L’occasion pour lui de parler de ce dernier, « plan élaboré en réponse à l’urgence » durant la crise sanitaire, « afin d’éviter que les jeunes aient encore à payer le plus lourd tribut. » Et ce, « avec la volonté farouche de créer un mouvement positif, dans la société, mobilisant tous les acteurs de l’insertion de la jeunesse, ceux des services publics et les entreprises, pour corriger un mal qui traverse notre société depuis trop longtemps : notre difficulté à accueillir et intégrer les jeunes dans l’emploi et l’autonomie. »
Ainsi, « près de 10 milliards d’euros ont été investis pour la jeunesse, ce qui est totalement inédit dans son montant » : plateforme unjeuneunesolution.gouv.fr, pour « mettre en place le réseau de ceux qui n’en ont pas » ; lancement du plan « 1 jeune 1 mentor », pour lequel il a tenu « à remercier l’action de l’Afev qui, avec d’autres associations, ont fait naître dans ce pays le mentorat – permettant ainsi de lutter contre les déterminismes sociaux, de créer des ponts positifs au sein de la société, et de faire en sorte que l’égalité des chances ne soit pas un vain mot. » Concernant, enfin, le rôle de l’entreprise dans cet écosystème, il a estimé « très important qu’elles ouvrent beaucoup plus leurs portes à la jeunesse, via des pratiques toujours renouvelées » (mentorat, stages, périodes d’immersion...). Tout ceci, afin de permettre « aux jeunes d’avoir la possibilité de rêver ou d’explorer ce qui va les passionner demain. »
Une intervention filmée, suivie par quelques mots du Directeur général de l’Afev et Président du Collectif mentorat, Christophe Paris, qui est revenu sur la genèse de « cette grande ambition, consistant à faire en sorte que les acteurs du mentorat, qui réalisent la même chose sur le territoire, arrêtent d’être en concurrence pour créer une dynamique commune » - ceci en « se mettant autour de la table pour partager outils et difficultés, et enfin aller voir l’Etat, avec l’objectif de construire ensemble un plan, à mes yeux réellement dénué d’eau tiède. »
L’apport des fondations
Sur scène, enfin, se sont relayées Elisabeth Elkrief, Directrice générale de la Fondation AlphaOmega et Isabelle Giordano, responsable mécénat du Groupe BNP Paribas et Déléguée générale de la Fondation BNP Paribas. Elles ont détaillé la manière dont ces structures de l’ESS peuvent apporter un soutien et un accompagnement bénéfiques aux associations. La première, qui se revendique de la « venture philantrophy », apporte « un soutien ciblé et global à un petit nombre d’associations, sur la durée, en visant un impact social important », et le déclare: « L’éradication de l’échec scolaire est bel et bien possible », à condition que le gouvernement prenne mieux en compte « ceux qui, depuis des années, épaulent efficacement l’action de l’Etat – à savoir les grandes associations, qui forment le quatrième pilier de l’éducation. »
Dans les faits, actuellement, « si l’école est une condition nécessaire et suffisante de la réussite pour 80% des élèves, elle n’est qu’une condition nécessaire (et non suffisante) pour les 20% qui restent. » Pour ces derniers, il est nécessaire de « faire intervenir le tiers associatif », en misant sur « le concept d’équité plutôt que sur celui d’égalité. » A ce titre, la Fondation AlphaOmega adopte « une approche systémique », en identifiant « les moments charnières » du parcours éducatif. Elle sélectionne, ensuite, afin de les aider à massifier leur action, les associations (au nombre de 7 actuellement) « qui apportent des solutions de très bonne qualité à ces moments-là, avec une approche scientifique, des méthodes de formation disposant d’un impact mesuré », et un public-cible « représentant au moins 10% de cette population-cible à ce moment charnière. »
Du côté de la Fondation BNP Paribas, l’action s’articule autour de trois axes, énumérés par Isabelle Giordano: « Aider bien sûr les associations, soutenir l’innovation sociale – car des choses ne vont pas du tout, sans que l’on sache forcément comment réduire les inégalités scolaires, alors que parfois, certains dispositifs et certaines initiatives fonctionnent, grâce à des techniques éducatives innovantes - ; enfin, participer à un changement systémique. » Sur ce dernier point, tout peut s’avérer utile: émettre des plaidoyers, réaliser des études, favoriser le renforcement d’un imaginaire positif et stimulant... afin, à terme, de parvenir à « anéantir les inégalités de parcours éducatif » qui se dressent devant certains élèves et certains jeunes, et constituent aujourd’hui « un véritable scandale. »
Au terme de ce débat, qui a suscité un très grand nombre de réactions, un échange contradictoire s’est notamment noué entre ces deux intervenantes liées à des fondations, sur la nécessité (ou non) de viser, selon les termes d’Elisabeth Elkrief, « une offre associative minimale, commune partout » sur le territoire, et donc de venir en aide en priorité aux structures dont la pratique et la méthode, éprouvées par le temps, ont déjà fait leurs preuves. Concernant les petites associations « qui participent à l’innovation », il faut, selon elle, « attendre, pour leur venir en aide, qu’elles aient fait la preuve de leur impact. » Pour Isabelle Giordano, en revanche, la priorité doit être mise sur la fédération des actions associatives, quelle que soit leur envergure et leur portée - ceci afin d’en « maximiser l’impact. »
François Perrin
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