Le 23 septembre dernier, en le nouvel Auditorium du journal Le Monde, l'Afev et ses partenaires organisaient la 13ème édition de la Journée du refus de l'échec scolaire (JRES), diffusée cette année en direct et en ligne pour respecter les conditions sanitaires du moment. Celle-ci militait - sous le titre « Ensemble pour le raccrochage scolaire » - pour trouver des solutions à la crise éducative et la hausse des inégalités scolaires, après un confinement problématique et une rentrée particulière à plus d'un titre. Retour sur une première table-ronde consacrée à "ce qui a buggé", en termes de continuité pédagogique, au cours du confinement.
Animée par la journaliste Soazig Le Nevé, cette table-ronde donnait la part belle à de solides observateurs, qui ont pu dresser le bilan éducatif du confinement, et plus généralement de l'étrange premier semestre 2020 en matière de scolarités. « Si le Ministère évalue entre 5 et 10% le taux de décrocheurs, a-t-elle annoncé, les enseignants le situent plutôt à 30% en ce qui concerne le réseau d'éducation prioritaire. » Avant de donner la parole à Florence Rizzo, co-fondatrice et co-directrice de Synlab, responsable de deux enquêtes sur le décrochage vu par les équipes pédagogiques – et que le Lab'Afev avait interrogée ici. D'après elle, 7 enseignant.e.s sur 10 avaient peur, dès mars, de perdre leurs élèves les plus fragiles ; une autre enquête, plus fine et menée après le confinement, a aussi révélé des éléments importants : 20% de l'ensemble des élèves étaient alors désengagés, 30% en réseau éducation prioritaire, et jusqu'à 60% dans certaines filières de lycées professionnels. Pire, 40% des élèves désengagés « n'étaient pas en risque de décrochage avant la période de confinement. » Et aujourd'hui, « la plupart des jeunes qui reprennent l'école ont eu six mois d'interruption de scolarité sans discontinuité. » Pour remédier à cette situation, et au regard de « toutes les stratégies mises en place par les enseignants pour maintenir le lien, il faut travailler de manière collaborative, car c'est la dynamique d'une équipe à l'échelle d'un établissement, se fixant comme objectif prioritaire de ne laisser aucun élève au bord du chemin, qui va susciter des stratégies intéressantes et permettre de transformer les choses. »
Lecture internationale
Par sa lecture internationale, Eric Charbonnier, analyste à la Direction de l'éducation de l'OCDE, tire aussi des conclusions parlantes : s'il « n'y a pas eu de réponse idéale dans les pays de l'OCDE, tout le monde ayant pris de court par cette crise sanitaire », ceux du Nord de l'Europe ou l'Australie, « qui ont une culture de l'utilisation de l'outil numérique », s'en sont « sans doute un peu mieux sortis – mieux préparés qu'ils étaient à l'école à distance. » Quant à la France, qui « appartient déjà au groupe des pays très inégalitaires en matière scolaire », elle a subi une crise qui a de manière indéniable renforcé ces inégalités. Il s'agit désormais de « tirer bénéfice de cette reprise au mois de juin » (qui n'a pas été décidée partout), et de « lutter plus fortement que jamais contre les inégalités. » Pour lui, en France, « les écoles doivent changer leur fonctionnement : l'objectif des enseignants ne doit plus être de finir à tout prix le programme scolaire, mais d'aider tous les élèves à avancer au même rythme et d'avoir les mêmes chances de passer au niveau supérieur. » Et de veiller, surtout, à favoriser une culture de la coopération entre équipes pédagogiques – dynamique qui s'est mise en place, mais « peut-être pas partout, ni dans tous les territoires. » De la même façon, il faut que les parents puissent d'une certaine manière trouver leur place dans l'école – certains d'entre eux, y compris issus de milieux défavorisés, ayant modifié en bien leur regard sur l'institution au cours de la crise sanitaire.
Professeurs, parents : tous acteurs !
Interrogée à son tour, Frédérique Weixler, Inspectrice générale de l’Éducation Nationale a estimé « qu'on apprend de nos "bugs" comme on apprend de nos erreurs. » « Ce qui, selon elle, nous oblige à réfléchir au statut de l'erreur, et si, dans le système scolaire français, on considère que l'erreur fait partie du parcours, on a déjà répondu en grande partie à notre problématique de décrochage ou d'inégalités. » En sus de la fragilité française sur le numérique, « ce qui compte, c'est la coopération qu'on a pu constater » - et que soulignait dans son introduction Christophe Paris, Directeur général de l'Afev, quand il en appelait à une « convergence des engagements », au regard des efforts déployés pendant la période en termes d'aide à la parentalité et de l'accompagnement spécifique envers les plus fragiles. Sur de nombreux dossiers, « si au départ c'est la peur des enseignants de ne pas être compétents, notamment en matière numérique, qui a pu être un problème, à partir du moment où la coopération a joué, où l'on a développé des alliances éducatives, nous avons pu profiter de ce "bug" pour progresser collectivement. » En outre, la crise a pointé « le travail qui doit être fait pour repérer les "signaux faibles" de décrochage scolaire. »
Ces échanges ont été suivis de la diffusion d'une vidéo de Marie-Caroline Missir, Directrice générale du Réseau Canopé, visant à « expliquer comment ce réseau s'est organisé pendant la période. »
Enfin, « pour parler aussi du rôle qu'ont pu jouer les parents pendant la crise », et quel rôle ils peuvent être amenés à jouer encore, une autre vidéo a donné la parole à Isma Hocini, Directrice de l'association Génération Femmes, depuis le quartier des Pyramides à Évry. Une association qui a été « beaucoup sollicitée par des établissements scolaires, souvent du premier degré, qui avaient des difficultés à entrer en communication avec certaines familles non-francophones, qui ne maîtrisaient pas les outils informatiques. » Une intervention qualifiée « d'extraordinaire » par Frédérique Weixler, dans la mesure où elle donne une définition illustrée de ce que peut être la coéducation.
L'ensemble des dispositifs décrits lors de cette table-ronde, l'ensemble des pistes esquissées et des avenirs souhaitables développés dans ces échanges reposent tous sur un consensus commun, rappelé par Eric Charbonnier : la nécessité de « travailler ensemble », afin de déployer le plus grand nombre de ce que Christophe Paris qualifiait plus tôt de « filets de sécurité éducative. »
François Perrin
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