Cette année, à l’occasion du désormais incontournable rendez-vous des acteurs éducatifs, l’Afev invite ses partenaires à s’interroger sur le raccrochage scolaire. Avant tout, saluons cette démarche qui nous oblige à penser autrement nos lendemains éducatifs, en refusant le fatalisme de l’échec et en considérant que l’urgence est d’offrir à chacun un nouveau chemin vers le possible. Les conséquences éducatives, sociales, de la crise sanitaire sont et seront profondes. Il nous appartient aujourd’hui, à tous, de relever ce défi qui nous est proposé, celui de ne pas dissimuler ou atténuer (à plus ou moins long terme) sous le tapis de la fin attendue de cette pandémie ses séquelles les moins visibles.
Les acteurs éducatifs et culturels, il convient de le rappeler, se mobilisent déjà, et ce depuis longtemps, pour éviter le décrochage scolaire et rendre possible le raccrochage scolaire. Bien souvent les démarches mises en œuvre sont conçues à partir d’une même matrice. Pour aborder la question du « raccrochage », notre expérience avec des adultes sortis de l’illettrisme est riche d’enseignements. Lorsque ces personnes témoignent, elles expliquent très clairement ce qui a provoqué le décrochage. Cette expression, il faut insister sur ce point, n’est jamais facile, elle nécessite de se sentir en confiance, et elle est généralement accompagnée de souffrances. Mais ces adultes s’expriment aussi sur les éléments qui ont pu déclencher leur besoin, leur envie d’apprendre. Et parmi ceux-ci, il en est un qui est évoqué régulièrement, c’est le besoin d’être libre en toutes circonstances, en toutes situations, de sortir d’une forme de dépendance qui s’est accentuée avec la numérisation croissante de notre quotidien.
Pour que le raccrochage soit possible, de nombreuses conditions doivent être réunies. Parmi celles-ci nous en retiendrons quatre.
Analyser les causes multifactorielles du décrochage pour agir efficacement.
La littérature concernant les causes du décrochage scolaire est abondante et il ne nous appartient pas de la commenter en prenant le risque inutile de ne se contenter que de rappeler des évidences. Le contexte nous incite plutôt à être pragmatique et à interroger ce que cette crise a révélé, notamment pendant la période du confinement. La continuité pédagogique ne s’est pas traduite de la même manière selon les conditions matérielles dans lesquelles se sont trouvés les enfants et jeunes. Cela paraît évident, mais il faut le dire très clairement et nous avons pu le vérifier avec nos partenaires. Au-delà des discours, des débats, des interrogations parfois un peu désincarnées, il y a la réalité, non pas celle qu’on commente sans la connaître, mais celle que vivent et qu’ont vécu les personnes concernées. Et cette réalité est pour beaucoup matérielle, économique. Comment faire pour une famille avec plusieurs enfants ne disposant pas de l’outillage numérique minimum ? Certes des solutions ont et seront toujours trouvées, mais il faut que cette question interroge structurellement le monde éducatif. C’est d’autant plus important qu’avec tous les risques que cela comporte le distanciel est parfois présenté sinon comme l’alpha et l’oméga de la réussite mais comme La solution. N’oublions jamais que si l’acte éducatif peut emprunter des canaux numériques, il requiert aussi de la présence, de la chaleur humaine qui sont, nous le savons, des éléments déclencheurs de la confiance. C’est d’ailleurs, convaincu de l’importance de cette relation, que nous avions axé l’une de nos campagnes de communication sur le thème de la rencontre. Il s’agissait alors de dire que la lutte contre l’illettrisme c’est avant tout des histoires de rencontres entre deux personnes.
Inscrire le raccrochage scolaire dans une démarche de mobilisation collective :
A de multiples reprises la journée nationale du refus de l’échec scolaire nous a permis de rappeler ce que nous considérons comme essentiel : l’action collective et concertée. Le collectif, les collectifs sont importants. Cette dimension est d’autant plus importante que la situation que viennent de vivre des millions de personnes invite plutôt à l’enfermement dans des bulles technologiques et cognitives qu’au partage, à la rencontre, à la coopération qui sont, nous le savons, indispensables pour construire des perspectives pour chacun. Face à ce défi, chacun a une place à prendre et à conserver. Si l’école reste le cœur de ce système complexe, elle ne peut pas, comme le rappelle justement l’Afev tout, toute seule. Le cœur a besoin de la solidarité, de la complémentarité, bref d’une interaction avec tous les autres organes qui lui permettent de remplir sa fonction avec efficacité. Ce rôle, les associations éducatives, culturelles, sportives, entre autres l’ont parfaitement tenu et doivent pouvoir continuer à le faire de façon durable et reconnue.
Donner du sens aux apprentissages en proposant des situations de réussite.
C’est en donnant à chacun l’occasion de révéler et d’exercer son talent mobilisant de nombreuses compétences (que beaucoup hésitent à utiliser parce qu’elles semblent de moindre valeur) que l’envie d’apprendre ou de réapprendre reviendra : cela deviendra alors un besoin, voire une nécessité. C’est la raison pour laquelle toutes les associations d’éducation populaire et plus particulièrement celles qui sont considérées comme étant complémentaires de l’école ont un rôle à jouer. Ce sont elles qui peuvent donner l’occasion à chacun de s’exprimer, d’agir, et ainsi de faire le lien avec ce qui relève des apprentissages scolaires. C’est en « déscolarisant » le temps des loisirs, le temps des vacances, bref le temps libéré qu’on offrira à chacun une occasion de réussite et ensuite de faire le lien avec l’école, avec les apprentissages scolaires. Ce défi n’est pas nouveau, c’est depuis des décennies celui des mouvements éducatifs, de jeunesse, qui, à travers le sport, le jeu, l’éveil artistique et culturel contribuent à rendre ce chemin du raccrochage à la fois plus accessible et plus attrayant.
Accompagner les enfants et les jeunes.
L’accompagnement est « convoqué » dès que des difficultés, des tensions, des échecs, des ruptures sont constatés, mais aussi quand il s’agit d’évaluer l’efficacité d’un dispositif, d’un programme dont la vocation affichée est de conduire des personnes, sur le chemin de la réussite scolaire, éducative, de l’insertion, de l’emploi. On considère que l’accompagnement est et sera la solution. Evidemment nous en sommes convaincus mais considérons au préalable, qu’avant de s’engager dans l’action plusieurs questions, simples, doivent être posées : pourquoi veut-on accompagner, qui veut-on accompagner, qui accompagne et comment veut-on accompagner ?
Ces questions doivent être posées par toutes les personnes, qui, à un moment ou à un autre, interviennent à la place qui est la leur dans le parcours d’une autre personne. Elles doivent aussi être posées à toutes les personnes concernées par l’accompagnement, qu’elles soient celles qui accompagnent, ou celles qui sont accompagnées, en prenant la précaution de considérer qu’en la matière il n’y a pas des actifs et des passifs, ceux qui agissent et ceux qui subissent mais bien des acteurs qui sont tous connectés, au sein de différents collectifs qui se complètent et qui coopèrent.
Ce point est essentiel. Nous savons, parce qu’elles le disent, que les personnes qui ont besoin d’accompagnement doivent sentir que cette relation d’accompagnement s’inscrit dans une relation de coopération exigeante et respectueuse.
La situation dans laquelle nous sommes exige plus que jamais de se tourner vers des solutions dont on sait, parce qu’elles ont déjà été éprouvées, qu’elles peuvent produire des résultats. Ces solutions, l’Afev partenaire historique de l’ANLCI, les a mises en œuvre, elles s’inscrivent pour beaucoup d’entre elles sous le signe du bon sens. Nous l’avons vu par exemple avec l’action apprentis volontaires où grâce à un accompagnement de qualité, les jeunes dont on pouvait craindre qu’ils « disparaissent » sont restés accrochés.
Nous nous trouvons face à un défi qui réclame une fois encore de mettre en avant ce que nous considérons comme un triptyque qui peut garantir l’efficacité et dont les trois éléments constitutifs sont : réactivité, proximité et qualité.
Eric NEDELEC
Directeur Adjoint de l’Agence Nationale de Lutte contre l’Illettrisme
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