Brièvement introduit, le transfert des résultats de la recherche, seule nouveauté en matière de missions, n’éclaire guère sur la vision globale de l’université supposée orienter la loi. L’exposé des motifs, quant à lui, insiste sur la réussite étudiante, mais également sur le redressement national, dans une perspective essentiellement économique où affleurent des enjeux sociaux. En l’état, on ne peut dire que ces éléments épars répondent à toutes les interrogations.
Pourtant, au sortir d’une période qui a vu s’accumuler beaucoup d’incertitudes, tant sur les moyens alloués aux universités que sur les objectifs à poursuivre, le besoin d’une vision d’ensemble du devenir de l’université s’impose : elle peut à mon sens trouver des éléments de réponse consistants avec la Responsabilité Sociale et Sociétale des Universités (RSU), pour la promotion de laquelle un Observatoire, l’ORSU, a été créé le 4 octobre 2012, à l’instigation de l’Afev et de l’Unicef, avec le soutien de la CPU, de l’ARF et de l’AVUF.
A quoi oblige la RSU ?
Si être responsable, c’est être capable de répondre de ce que l’on est ou de ce que l’on fait, vis-à-vis d’une personne ou d’une institution, alors l’université est responsable à l’égard de la société, au sens où l’Etat, au nom et au bénéfice de la société, a pris un engagement vis-à-vis d’elle, en soutenant l’université comme un bien public, accomplissant des missions de service public. A ce titre, l’université est responsable de ce qu’elle est, c’est-à-dire de ce qu’elle a vocation à être, et donc corrélativement de ce qu’elle fait. Les missions de formation et de recherche dans tous les domaines du savoir sont les missions qui lui sont historiquement dévolues, ses missions premières et principales. Il est légitime de les considérer comme des missions sociales, dans la mesure où les universités, dernier étage du dispositif éducatif, délivrent des formations dans toutes les disciplines, à présent déclinées selon les divers niveaux du LMD, et où elles assument l’objectif de démocratisation de l’enseignement supérieur, dans la mesure également où s’y conduisent (avec les organismes de recherche, souvent en collaboration avec eux) un très grand nombre d’activités de recherche menées de façon indépendante, qui bénéficient indirectement, quelquefois directement, à la société et au monde économique. Avec la mission connexe de l’insertion professionnelle des étudiants (des métiers de l’enseignement et de la recherche aux métiers de la fonction publique et du secteur privé, du droit, de la médecine), ce sont les trois premières missions assignées à l’université par le Code de l’éducation.Trois missions pour l’université
L’idée de responsabilité sociale du point de vue de l’université prend corps avec ces trois missions. Évidemment, à s’en tenir là, l’on observera à raison que la RSU ne fait que mettre en relief du point de vue de leur utilité sociale des missions bien établies. Encore que cette évidence, il faut le souligner, ait durant ces dernières années été sensiblement malmenée, au même titre que le principe d’un service public de l’enseignement supérieur. C’est pourquoi aujourd’hui où les universités sont soumises à la Révision Générale des Politiques Publiques (et bientôt à la Modernisation de l’Action Publique), où elles s’administrent selon les Responsabilités et Compétences Élargies, et sont appelées à proposer des voies de formation plus étroitement liées aux évolutions du monde du travail (attentives aux métiers émergents, aux besoins croissants de formation tout au long de la vie), il importe de répéter que leurs missions de base doivent plus que jamais rester ancrées dans cette visée désintéressée de production et de diffusion des savoirs au bénéfice de tous, dès lors que l’on s’accorde à reconnaître au savoir un caractère de bien commun essentiel. Dans tous les domaines, les universités façonnent des pans fondamentaux de notre patrimoine scientifique et culturel, et elles le font de manière évolutive, inventive, en s’efforçant d’intégrer les révolutions du numérique. Les universités sont également en prise sur les questions sociétales nouvelles, et elles les prennent en charge avec toute la qualité scientifique que leur richesse disciplinaire rend possible (sur ce plan, elles peuvent sans doute progresser, en prenant une part plus active aux débats de société, à ces débats citoyens qui donnent réalité à la démocratie participative), et dans la mesure de leurs ressources financières.L’Etat responsable envers les universités
Pour toutes ces raisons, l’idée de responsabilité des universités en matière de formation et de recherche, a pour corollaire celle de responsabilité réciproque de l’Etat envers les universités, afin que celui-ci leur permette d’assumer pleinement ces missions fondamentales, et leur garantisse la prise en charge intégrale des moyens humains et financiers requis. Cela étant, à considérer de plus près ce que cherche à exprimer l’idée de "RSU", un supplément de signification se manifeste. Car au-delà de la responsabilité sociale consistant à assumer au mieux ses missions de formation et de recherche, la RSU incite de surcroît la communauté universitaire à s’interroger sur les actions qu’elle peut engager en vue d’améliorer les conditions de vie et d’étude de ses membres, ainsi que sur les actions qu’elle conduit dans son environnement (économique, social, écologique) : que font les universités en tant que société, et que font les universités dans la société, vis-à-vis d’elle ? Dans quelle mesure sont-elles capables de la faire évoluer, et quelle est leur exemplarité sociale ? C’est là leur responsabilité sociétale, au sens de leur capacité à agir sur elles-mêmes et sur la société, pour faire progresser l’accès au savoir, dessiner des modes nouveaux de partage de connaissance, promouvoir des modes de vie soutenables, se projetant à une échelle inter-générationnelle.Des effets attendus de transformation sociale dans les territoires
Nous sommes ce faisant conduits à réfléchir sur ce que l’université, à partir de ses missions fondamentales, est en mesure de produire comme effets dérivés, et pleinement assumés, sur la société, dans son territoire (de la ville à la Région). En cela, la responsabilité sociétale des universités incite ces dernières à penser un continuum d’actions : formations diplômantes, recherche, insertion professionnelle des étudiants, formation tout au long de la vie, y compris de ses personnels, et, inclusivement et par extension, de nouveaux modes diversifiés, créatifs de transmission et de partage de la culture et du savoir. L’enjeu est d’induire, par cercles concentriques, des effets de transformation sociale (éducation, création de lien) dans leur territoire et au-delà, selon une logique articulant le local au global (conception et diffusion numérique du savoir, coopérations internationales et contribution à l’émergence d’un espace européen de l’enseignement supérieur). Nous le savons depuis Platon, le savoir est lien, par lui-même (il livre la cause de ce qui est) et pour ceux qui l’acquièrent (la communauté que fonde le savoir partagé procède de l’échange et du dialogue ouvert). La société tout entière, qui tient par le lien instauré entre ses membres, doit trouver dans le partage du savoir le ciment qui solidarise par excellence.De la production à la transmission des savoirs
L’action de l’université trouve sa pleine cohérence et sa profonde légitimité dans l’articulation entre d’une part la production du savoir et sa transmission visant à former le plus grand nombre d’étudiants diplômés et à les aider à obtenir un emploi, et d’autre part la diffusion multiforme des savoirs et des pratiques solidaires en son sein et à l’extérieur (accès facilité au savoir, dans sa forme fondamentale en adoptant le principe des archives ouvertes, comme dans des formes dérivées ou adaptées, en usant des divers médias disponibles, à l’intention de ses personnels, des populations environnantes et au-delà ; actions culturelles partagées, soutien scolaire proposé par les associations étudiantes, en passant par des actions d’aide à l’insertion, etc., dans un souci d’ouverture de l’université vers la ville et la société, mais aussi d’ouverture à la ville). Cet enjeu peut devenir l’affaire de tous les acteurs de l’université : étudiants, personnels, administratifs et enseignants, associations, si une vision globale et partagée parvient à se constituer. Dans cette perspective, la création de l’ORSU est un signal fort. Comme promoteur de la thématique et concentrateur de projets et d’initiatives, il va permettre d’accompagner et encourager ces actions individuelles et collectives, fruits d’initiatives locales, mais aussi de sensibiliser à l’enjeu historique qui se présente : celui qui consisterait à faire reconnaître par la loi l’ensemble large de ces actions sociales comme une mission des universités, participant d’un projet global de société, afin qu’elles puissent être portées par les établissements d’enseignement supérieur et leur projet d’établissement, non pas comme un supplément d’âme, mais comme ce qui achèverait de donner aux universités leur pleine légitimité dans la construction d’une société rendue plus juste et plus solidaire par le partage des savoirs. Jean-François Balaudé, Président de l’université Paris Ouest Nanterre La Défense Contribution ORSUPartager cet article