Jean-Claude Driant : « Il faut ancrer la question du logement dans l'espace. »

Géographe à l'Institut d'urbanisme de Paris et auteur notamment des Politiques du logement en France (La Documentation française, 2009), Jean-Claude Driant souligne combien via le logement les jeunes paient un prix de plus en plus élevé pour accéder à une  autonomie réclamée.

Les chiffres de cette enquête vous ont-ils surpris ?

Jean-Claude Driant : Pas du tout, ils sont conformes à ce que l'on peut voir dans d'autres études plus généralistes. Ce qui manque peut-être ici, c'est une vision territorialisée des situations, car si le bilan est effrayant en l'état, il ne peut que s'aggraver si l'on zoome sur la région parisienne et les grandes villes. Dans l'enquête de l'Observatoire de la Vie Etudiante (OVE) de 2013, on constatait en effet que les clivages sociaux étaient presque effacés dans les petites villes, et très visibles/lisibles dans les grandes villes. Or l'enquête OVE, par définition, ne s'intéresse qu'au cas des étudiants, globalement plus favorisés que l'ensemble de la jeunesse : d'où une accentuation des tensions dans votre enquête.

La difficulté d'accès au logement est-elle universelle pour les jeunes ?

Jean-Claude Driant : Pas tant que cela. Il existe des différenciations fortes entre jeunes, et les plus jeunes sont fatalement plus soumis aux clivages sociaux du fait de conditions sévères pour entrer dans le logement (garanties, etc.). Deux tiers des étudiants affirment n'avoir pas rencontré trop de difficultés... mais le dernier tiers en a vraiment « bavé ».

Les jeunes sont-ils soumis à une double peine ?

Jean-Claude Driant : A la triple peine presque. Statistiquement, les jeunes paient les loyers les plus chers, du fait d'un prix au mètre carré supérieur (petits logements) et de leur très forte mobilité.

Considérez-vous que les jeunes vivant encore chez leurs parents vivent une dépendance essentiellement subie ?

Jean-Claude Driant : Sur ce point, la nuance est nécessaire, car de grandes différences existent selon les classes sociales considérées. Sur ce point, la taille et la localisation du logement créent des inégalités massives : la dépendance sera plus subie dans un logement exigu et excentré, périurbain, plutôt que dans un grand logement en centre-ville !

Cette jeunesse vous apparaît-elle résignée ?

Jean-Claude Driant : Oui, et c'est une impression générale, similaire à celle concernant son rapport à l'emploi. « Bah oui, c'est dur », semblent-ils se dire, sans que ce constat ne provoque de comportement de révolte. Cette résignation est inquiétante au regard des jeunesses du passé qui savaient se révolter.

Quels aspects mériteraient selon vous d'être creusés ?

Jean-Claude Driant : La dimension territoriale, comme je vous le disais, que l'enquête en l'état ne permet pas d'appréhender. Il faut ancrer la question du logement dans l'espace. Sur les étudiants, avec un échantillon plus important, nous avions constaté qu'il existait de grandes différences entre grandes villes, villes moyennes, villages... Il paraît par exemple logique d'accéder plus facilement à un logement dans une région sinistrée économiquement, proposant peu de travail, mais cela est-il une bonne chose au bout du compte ? Certainement pas.

En quoi la situation a-t-elle changé, pour les jeunes, depuis quelques décennies ?

Jean-Claude Driant : D'enquête en enquête, on constate un point paradoxal : la part des étudiants disposant d'un logement autonome ne cesse de croître, alors même que les conditions d'accès au logement se sont énormément tendues. Les jeunes seraient à la fois de plus en plus autonomes et de plus en plus disposés à surmonter des difficultés grandissantes pour le devenir. Leur effort financier requis, également, a très probablement bondi. Cette situation, du coup, génère des privations sur d'autres dépenses, y compris sur celles de première nécessité...

Comment, selon vous, œuvrer dans le sens d'une amélioration de la situation ?

Jean-Claude Driant : Certainement pas en développant des formules de logement spécifiques, spécialisées, car ces types de produits immobiliers ont par définition une durée de vie limitée – les jeunes souhaitant rapidement, en général, acquérir un « vrai » logement, s'installer en couple, etc. En revanche, et cela vaut aussi pour l'ensemble de la population : une meilleure régulation des loyers, et la facilitation de l'accès au logement social des plus jeunes actifs devraient permettre d'arranger la situation. On voit d'ailleurs que chez les plus vieux de votre échantillon, le taux de présence dans le logement social est égal à celui de l'ensemble de la population – les travailleurs les plus jeunes en sont en revanche plutôt exclus... Propos recueillis par François Perrin

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