Interview de Patrice Bride, co-auteur du livre Vous faites quoi dans la vie ?

Patrice Bride a participé à la création de la coopérative Dire Le Travail. Ce projet cultive l’ambition de revaloriser le monde du travail à travers la publication de récits de femmes et d’hommes qui relatent leurs expériences du monde professionnel. Le livre Vous faites quoi dans la vie ? donne un écho à cette démarche en proposant un recueil de 27 histoires inspirées d’aventures quotidiennes qui concernent une grande diversité de métiers. Au-delà de la dureté des contraintes économiques, les propos qui ressortent de cet ouvrage renvoient une image émancipatrice du travail. Ainsi, la prise en compte de l’intelligence, la motivation et le sens que chaque individu donne à son activité sont des variables essentielles pour l’épanouissement des salariés. Loin des ratios de performances économiques et des objectifs de productivités, le souci de l’utilité sociale et le sentiment de contribuer au bien commun sont des valeurs qui renforcent l’idéal de justice qui animent l’ensemble des contributeurs de ce livre ancré dans le réel. Pourquoi avez-vous participé à la création de la coopérative Dire le travail ? Nous avons mis longtemps à trouver la bonne appellation pour cette entreprise. Finalement, « coopérative Dire le travail » reprend tout ce qui me tient à cœur. D’abord une coopérative, donc une œuvre collective, avec tout ce qu’il peut y avoir de passionnant et éprouvant à la fois dans une construction à plusieurs. Ensuite, un projet centré sur la parole écrite ou orale : la parole singulière de quelqu’un qui décrit son travail pour l’expliquer de l’intérieur ; une parole partagée pour comprendre et agir. Enfin un projet qui s’occupe du travail, entendu dans un sens large et ambitieux : pas seulement l’emploi que l’on occupe, dans de plus ou moins bonnes conditions, pas seulement les tâches que l’on a à effectuer, plus ou moins agréables, mais l’activité dans laquelle on s’implique personnellement, qui contribue à nous faire exister, qui rend service à d’autres. Tout ça va vous paraitre bien général, et assez loin d’un business plan ou d’un modèle économique d’entreprise. Mais je carbure aux grandes idées, et je me suis dit qu’il y avait là de belles perspectives qui finiraient bien par se traduire en activités concrètes. J’ai pensé, en tout cas, que je pourrais y trouver de quoi en vivre, dans tous les sens de l’expression ! Quelles ont été les motivations qui ont conduit à la publication du livre Vous faites quoi dans la vie ? Pour la préparation de ce livre, nous avons rencontré plusieurs dizaines de personnes qui nous ont raconté leur travail, et ce sont ces entretiens mis en récits que nous proposons aux lecteurs. C’était passionnant de rencontrer ces personnes, de milieux professionnels, de parcours très divers, mais toujours tout à fait disposées à partager avec nous une discussion un peu poussée. Nous évoquions les bonnes raisons qu’elles ont de le faire leur travail comme elles le font, ce qu’elles y trouvent ou voudraient y trouver. À la fin de l’entretien, elles nous remerciaient souvent, nous disant avoir rarement l’occasion de parler ainsi de leur activité. Et puis, à travers nous, c’est aussi à tous ceux qui travaillent quotidiennement de façon plus ou moins obscure et anonyme que nous leur proposions de s’adresser. C’était donc important de mettre ces paroles sur la place publique, d’en faire un livre. Nous avons cherché à rendre ces récits accessibles, à la fois agréables à lire et fidèles à leurs auteurs : à vous de nous dire si ça fonctionne ! Quel regard portez-vous sur le monde du travail d’aujourd’hui ? Ce qui me frappe dans nos récits, dans ce que tiennent à nous raconter les personnes que nous rencontrons, c’est leur souci des autres, du monde. J’y vois de belles raisons d’espérer, loin des discours et même des politiques souvent à l’œuvre dans les entreprises : tantôt la pression à la performance, à la productivité, sans se soucier du sens de ce que l’on fait ; tantôt les mauvais augures de la « fin du travail », comme si les robots pouvaient remplacer les êtres humains. Je dirais plutôt que notre société n’en est qu’au début du travail : celui qui consiste à prendre soin d’autrui et de notre environnement, sans gaspiller les ressources, en se parlant pour coopérer plutôt qu’en jouant des coudes pour gagner toujours plus. Les personnes qui nous disent leur travail sont souvent prises dans bien des contraintes, mais elles trouvent aussi toujours de l’énergie pour créer, imaginer, faire du bien : de quoi construire un monde meilleurs. Propos recueillis par Jérôme Sturla.

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