Mercredi 5 avril dernier dans l’amphithéâtre d’AG2R à Paris, un collectif d’acteurs engagés dans ce secteur (Afev, Cohabilis, Habitat Participatif France, Soliha et Unafo) organisait la première édition des Rencontres nationales de acteurs de l’habitat partagé. Ainsi, pendant une matinée animée par Claude Costechareyre, les intervenants ont pu partager leurs expériences et pointer enjeux et défis face aux plus de 700 personnes inscrites, qui assistaient à l’événement sur place ou à distance.
Ce webinaire interdisciplinaire visait en premier lieu à réunir autour d’un même faisceau de questionnements des collectifs et individus impliqués à divers titres dans l’habitat partagé sous toutes ses formes, autour d’une « intuition commune : aussi divers soient les dispositifs construits et portés localement, une même dynamique est en train d’émerger. » Retour sur une matinée riche en enseignements.
Cinq acteurs alignés
« Lors du congrès HLM à Bordeaux en 2022, s’est rappelé Joachim Pasquet, Directeur de Cohabilis, au cours d’une première petite table-ronde avec 10 participants, nous nous sommes dit que la question de l’habitat partagé apparaissait un peu comme un chapeau qui pouvait recouvrir différentes réalités, différents types de dispositifs. » D’où le souhait « d’organiser les premières, modestes et exploratoires, Rencontres nationales de l’habitat partagé. » Un temps pensé « dans une démarche itérative et ouverte » dans la mesure où « l’habitat partagé représente une notion d’écoute et d’ouverture, dépassant l’individualisme, parlant du commun. » Dont acte.
Ainsi, autour de l’Afev (ici représentée par sa Responsable nationale "Logement" Kheira Boukralfa), Cohabilis, la Fédération Soliha (avec son Responsable du pôle "Vie associative" et Chargé de mission "Démarche qualité de services et suivi Habitat adapté" Eric Malevergne), Ludovic Parenty – coordinateur national d’Habitat Participatif France – et le chargé de mission "Logement jeunes" de l’UNAFO (Union professionnelle du logement accompagné) Pierre-Marc Navales, il a été question pendant ce temps d’échanges particulièrement riche de réfléchir collectivement, notamment à partir d’une définition de l’habitat partagé proposée par Marc Uhry, expert en politiques du logement : « L’habitat partagé avance sur un fil tendu entre l’assignation et l’entre-soi, à la recherche de formes de solidarité, de proximité, dans une époque où la solitude appauvrit et parfois tue. A la recherche de solutions économiques soutenables, d’une utilité au monde, de la fabrique du "nous", nouveau, qui ne réduise pas l’individu mais le rende plus libre et plus fort. »
A quels besoins répond l’habitat partagé ?
Suite à cette introduction en forme de tour de table des membres du collectif, ces premières rencontres ont d’entrée de jeu misé sur l’importance des témoignages. En l’occurrence, ceux Liliane et Manon (en duo de cohabitation conviviale intergénérationnlle à Chessy (77), dans le cadre du Pari Solidaire) puis de Lalia (kapseuse de l’Afev, en année de césure et Service Civique au Havre), tous très positifs en matière d’expérience vécue et de « sécurisation mutuelle » entre cohabitants. Puis Nathalie Guerchoux, Directrice de Soliha Aveyron, a présenté le cas d’un « habitat inclusif, partagé, né d’une initiative locale, en milieu rural, tourné vers l’autisme. » Pour elle, « chacun a sa place dans un projet comme celui-ci : un bâtisseur autour de l’action sociale ; le Conseil départemental ; l’ARS… »
La parole est ensuite revenue à des acteurs de la recherche, tels Annie Leroux et Pascale Bourgeaiseau, respectivement co-Fondatrice et co-Présidente de l’association Hal’âge, qui depuis 2014 « développe et soutient les démarches d’innovation sociale au croisement de l’habiter et du vieillir » - notamment par le biais d’un travail de recherche-action débordant les frontières hexagonales, et intitulé Rapsodiâ –, ou encore Alexis Alamel, maître de conférences en géographie à l’IEP de Rennes et spécialiste de l’analyse comparative du logement des étudiants en Europe, qui a eu l’occasion d’expliquer en quoi, depuis le film L’Auberge espagnole où cette expérience est « romantisée », les formes de colocation et d’habitat partagé ont évolué au sein de cette population spécifique… jusqu’à permettre l’élaboration d’un « apprentissage de la résidence » et le développement de compétences (et connaissances) dédiées.
Quelles tensions entre normes et innovation ?
Il a enfin été question de la place à donner à l’innovation sociale dans l’organisation de la cité quand elle se confronte parfois à des règlements très spécifiés et encadrés, puis de se demander, comme l’a introduit Claude Costechareyre, « si un enjeu de démocratisation, de généralisation de l’habitat partagé apparaît évident à tous, comment replacer, dans ce cadre, la norme à sa place ? » Ce sont cette fois l’Administratice d’Habitat Participatif France Michèle Cauletin et la vice-Présidente du Conseil de l’Ordre des architectes Valérie Flicoteaux-Melling qui ont d’abord pu envisager sous quelles conditions normes et innovation pouvaient cohabiter, avant que l’avocat au Barreau de Paris et Docteur en droit des baux Pierre De Plater ne fasse un point sur la « tension entre les besoins sociaux et la réaction du législateur » (en prenant l’exemple du Contrat de cohabitation intergénérationnel et solidaire – CCIS).
Après une dernière prise de parole – celle du Délégué général du réseau francophone Villes amies des aînés Pierre-Olivier Lefebvre, venu préciser l’importance de la prise en compte du, sinon des territoires -, l’expert en politiques du logement Marc Uhry, fil rouge de cette matinée, est venu conclure les travaux. Parmi les très nombreux éléments éclairants développés par ce dernier, on retiendra notamment le souci partagé par tous les acteurs de l’habitat partagé de soigner « la délicatesse dans la relation à l’autre, aux autres », l’idée que « l’on n’est jamais tout seul, mais autonome en relation aux autres », l’impossibilité de « valoriser ce mode d’habiter si l’on ne travaille pas en parallèle sur la justice sociale », ou enfin l’importance de « chercher des alliés pour permettre une transformation du rapport au droit pour l’ensemble des acteurs, en disant d’abord "C’est possible"»… plutôt que de s’en tenir à miser sur un cocktail malheureux entre homogénéité, obstination à tout prévoir en vain, et régimes dérogatoires…
François Perrin
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