Initialement journaliste dans les années 60, puis professeur, doyen de l'extension et vice-Président de l'Université de Brasilia dans les années 70, Marco Antonio Rodrigues Dias a ensuite dirigé pendant vingt ans la division de l'enseignement supérieur de l'Unesco (1981-1999), avant de travailler pour l'Université des Nations-Unies, puis consultant international sur les questions d'éducation.
Sur les fondations de la capitale brésilienne Brasilia il y a plus d’un demi siècle c’est tout un projet éducatif qui a été porté par son université. Aujourd’hui consultant international sur les questions d'éducation, Marco Antonio Rodrigues Dias qui en a été le président avant de diriger pendant vingt ans la division de l'enseignement supérieur de l'Unesco, revient sur l’histoire d’une utopie à faire vivre…
Brasilia est sortie de terre ex nihilo le 21 avril 1960. Pour un Français, cela peut paraître étrange...
Marco Antonio Rodrigues Dias : Pourtant cela existe ! D'autres villes sont parties de zéro. Rien qu'au Brésil, trois capitales d’États sont dans ce cas. On peut aussi parler d'Astana, en Asie, la nouvelle capitale du Kazakhstan depuis le 10 décembre 1997 - célèbre pour son architecture avant-gardiste -, ou de Yamoussoukro, capitale depuis mars 1983 de l'ancienne colonie française de Côte d'Ivoire. Brasilia n'est donc pas un cas unique. Au Brésil, depuis le début de la colonisation par les Portugais, en 1500, la « civilisation » brésilienne se concentrait sur les côtes maritimes, laissant un grand vide dans l'arrière-pays. Transférer la capitale vers le centre géographique du pays était un rêve, prévu dans la Constitution de 1891, quand le Brésil était encore un Empire dominé par des monarques. Mais c'est Juscelino Kubitchek, un descendant de Polonais, ancien maire de Belo Horizonte et gouverneur de Minas Gerais qui en avait fait la promesse, lors de la campagne présidentielle qu'il a remportée en 1956. Il l'a inaugurée en 1960, visant une population de 500.000 personnes en 2000 - elle en compte aujourd'hui près de trois millions. La création de Brasilia a facilité la dispersion de la population dans le pays et une meilleure répartition des services publics sur tout le territoire national. Du point des objectifs à atteindre, c’est une réussite, même si le modèle de développement à l’œuvre au Brésil – un capitalisme sauvage – a causé de nombreux maux. Mais les conséquences d'un système pourri auraient existé de toute façon, avec ou sans la construction d'une nouvelle ville.Quelles ont été les limites de ce rêve ?
Marco Antonio Rodrigues Dias : La réalité sociale est plus forte que le rêve. Niemeyer et Lúcio Costa, avec le soutien du Président Kubitschek, ont rêvé d'une ville socialiste dans un pays capitaliste. Où le fonctionnaire subalterne d’un ministère aurait pu avoir comme voisines immédiates de hautes personnalités gouvernementales. Cela n’a pas marché. En peu de temps, le fonctionnaire subalterne a vendu son appartement et est parti s’installer dans les villes satellites, comme dans toutes les grandes villes du monde. Mais à Brasilia, des experts en urbanisme, en architecture et en sociologie – comme le professeur Geraldo Nogueira Batista, et un groupe constitué autour de l'Institut des Architectes de Brasilia – travaillent encore sur le projet d'une ville démocratique. Et en attendant, j’insiste toujours sur le fait que les créateurs de Brasilia avaient conçu une ville jardin. Ils ont réussi au moins partiellement. Quand on est à Brasilia, l’impression est totalement différente de celle par exemple éprouvée à Hongkong, ou dans ce quartier de Rio que ses habitants ont immédiatement surnommé « selva de pendra », la « forêt en pierre ». Il sera toujours préférable de vivre dans une ville comme Brasilia, avec 150 millions de m2 d'aire verte et 5 millions d'arbres dans son plan pilote, qu'à Beijing, Hong Kong ou même New York.En quoi Paulo de Tarso Santos, maire de Brasilia en 1961, a-t-il joué un rôle important sur l'éducation au Brésil ?
Marco Antonio Rodrigues Dias : On a oublié en grande partie son héritage, alors qu'il a été un personnage important dans l'histoire de la ville, comme du pays tout entier. Catholique, lié aux courants progressistes de l’église, conseiller municipal de São Paulo en 1955, aux côtés du futur président Jânio Quadros, puis député fédéral, il devint Ministre de l'Education en 1963. Il a immédiatement lancé une campagne nationale d'alphabétisation, et attiré à Brasilia une équipe incluant le fameux Paulo Freire, mais aussi Roberto Freire, Herbert José de Souza, Lauro de Oliveira Lima, Lauro Bueno de Azevedo... J'ai d'ailleurs été membre de cette équipe, en tant qu'assesseur parlementaire. L’élite brésilienne ne lui a jamais pardonné d’avoir, en peu de temps, transformé la base de l’éducation nationale, en remplaçant les experts nord-américains par l’équipe de Paulo Freire. Il fut emprisonné en avril 1964 par les militaires – qui ont aussi provoqué l'exil de Paulo Freire, dont les idées continuent à se répercuter dans le monde entier - et s’est exilé au Chili, où il a travaillé avec les Nations-Unies. Son dernier poste public a été celui de directeur du Memorial de l’Amérique Latine, à São Paulo, en 1991.Qu'est-ce qui a fait la spécificité de l'université de Brasilia ?
Marco Antonio Rodrigues Dias : Le principal créateur de l’Université de Brasilia, Darcy Ribeiro, était un pragmatique. Le modèle d’organisation de l’Université existait déjà ailleurs, sur la base de l'exemple nord-américain, et aujourd'hui celui visé en Europe par le processus de Bologne. La réelle différence était l'objectif à atteindre : le modèle des États-Unis visait à la formation de cadres et d’exécutifs pour le système capitaliste dominant, Darcy Ribeiro voulait former un citoyen critique, capable techniquement, mais conscient des enjeux de société et préparé pour contribuer à la construction d’une société plus juste. C’est une question de philosophie qui est toujours valable.Où en est l'enseignement supérieur aujourd'hui au Brésil ?
Marco Antonio Rodrigues Dias : Il y a de tout dans les universités brésiliennes : le plus haut niveau et des écoles dont le seul intérêt est le profit de leurs propriétaires. Le gouvernement néolibéral de Fernando Henrique Cardoso, juste avant le début du présent siècle, a approuvé des décrets qui ont favorisé la conception mercantile de l’éducation. La crise politique, institutionnelle et financière au Brésil, en 2015, n’est pas de nature à faciliter la tâche de ceux qui dirigent les universités publiques brésiliennes en ce moment. Propos recueillis par François Perrin Crédit photo ENRIC CATALÀPartager cet article