Effet double peine ou spirale des inégalités... Pour Fanny Bugeja-Bloch, sociologue à l'Université Paris Ouest et au laboratoire Cresppa - GTM (CNRS), ce sont les jeunes les plus défavorisés et qui ont le plus de difficultés sur le marché du travail qui sont les plus touchés par les difficultés de logement.
Dans cette enquête, quels résultats vous ont surpris, ou ont au contraire corroboré vos analyses ?
Fanny Bugeja-Bloch : J'ai été surprise d'apprendre que 25% des jeunes actifs étaient en contrat précaire et 60% issus de classes populaires (employés ou ouvriers), alors que trois quarts d'entre eux disposent au moins d'un niveau bac+2. Les chiffres concernant les jeunes vivant encore chez leurs parents me semblent également relativement bas. Dans une enquête réalisée par mes étudiants sur les étudiants de Paris 10 et Paris 8, j'obtenais un pourcentage de plus de 50%, mais les étudiants ne sont qu'une fraction de la jeunesse. En revanche, l'idée que 16% des moins de 25 ans soient propriétaires de leur logement me frappe, au même titre que le fait que 15% des jeunes interrogés – ce qui est énorme – se soient retrouvés sans logement ou en situation précaire. Bien que dans mes travaux, je n’étudie que les jeunes indépendants pour mettre en évidence des inégalités générationnelles, je montre aussi l’existence d’inégalités au sein de la jeunesse, lesquelles ressortent aussi nettement du rapport. Les jeunes d’aujourd’hui font face à de plus grandes difficultés sur le marché du logement que leurs parents au même âge : le renchérissement des coûts du logement, et la précarisation de leurs conditions de travail, font qu’une bonne partie de la jeunesse subit une pression budgétaire du logement souvent insoutenable et adapte ses modes de vie en conséquence. Et deux jeunesses se dessinent puisque ce sont les jeunes modestes ou ceux des classes populaires, souvent peu diplômés, qui subissent directement la contrainte.Que pensez-vous de l’apparente difficulté universelle d'accès des jeunes au logement ?
Fanny Bugeja-Bloch : Je la constate également, même si on doit conserver une certaine prudence sur ce point : le résultat de « sept jeunes sur dix » déclarant rencontrer des difficultés n'est-il pas en partie induit par la construction même du questionnaire, soumettant de nombreuses propositions à des jeunes sans doute poussés à en cocher au moins une ? Cela dit, cette multiplicité d'items pousse aussi les interrogés à opter pour la difficulté la « plus vraie » les concernant. Et à contrario, 30% des jeunes se déclarent tout de même privilégiés, soumis à aucune difficulté !S'agit-il d'une « double peine » pour les moins favorisés socialement ?
Fanny Bugeja-Bloch : J'abonde dans ce sens, d'où l'idée de « spirale » dans ma thèse. Les jeunes privilégiés sont favorisés à la fois sur le marché du travail et sur celui du logement, avec des parents issus des CSP+ qui les aident sans doute. A l'inverse, la jeunesse défavorisée cumule les handicaps et présente plusieurs visages : elle peut être contrainte à la dépendance (vit chez ses parents), subir une contrainte par les coûts (en rognant sur l'achat de produits de première nécessité), ou se voir totalement exclue du marché du logement (15% ont traversé une période sans domicile, sans oublier ces 12% de victimes de discrimination).Et que pensez-vous de l'apparente dépendance majoritairement subie des jeunes vivant chez leurs parents ?
Fanny Bugeja-Bloch : Là encore, il faut rester prudent : près de la moitié d'entre eux sont professionnellement actifs. Il peut donc exister une forme d'arbitrage financier, à l'instar de celui opéré par de jeunes Espagnols préférant vivre chez leurs parents, afin de se constituer un petit capital de départ, pour ensuite accéder au logement. Il m'apparaît donc plus prudent d'affirmer que dans certains cas, les jeunes opèrent des arbitrages entre indépendance coûteuse et dépendance gratuite. Une situation qui, en revanche, continue à être vécue comme une contrainte plutôt que comme un idéal.Quelles questions supplémentaires cette enquête ouvre-t-elle ?
Fanny Bugeja-Bloch : Quelle est la part de l'aide parentale dans le cas des propriétaires de leur logement ? Qu'en est-il de la reproduction, d'une éventuelle re-patrimonialisation générationnelle ? On se demande également ce qu'il en est des « trajectoires résidentielles » : que deviennent par la suite les locataires du privé et quel attrait pour le parc social ?Comment la situation des jeunes vous semble-t-elle avoir évolué dans les dernières décennies, et comment remédier aux problèmes ?
Fanny Bugeja-Bloch : On ne peut contester une hausse des difficultés, ainsi que des inégalités à leur encontre. La jeunesse précarisée l'est plus violemment qu'il y a vingt ans. Il faut, pour y remédier, diminuer les coûts du logement des jeunes, sans doute en développant un parc social à prix bas, et des types d'habitat adaptés à leurs situations - de petits logements - rares dans le parc existant. Valoriser, dans tous les cas, la location sociale.Partager cet article