« Ensemble, nous pouvons changer les choses » Par ce slogan, les deux journées du European Youth Event (EYE) organisées en mai dernier pour la troisième fois à Strasbourg entendaient instiller un peu de sang neuf au sein du Parlement européen : celui de plus de 7000 jeunes venus de tout le continent pour découvrir l'institution... mais aussi participer activement à des débats, et produire une liste de cinquante propositions concrètes pour la dépoussiérer. Rencontre avec cinq des dix participants conviés par la députée européenne Sylvie Guillaume.
Ils s'en souviennent comme d'un moment fort, entraînant, riche en enseignements, de la cérémonie d'ouverture le matin du vendredi 20 mai à Strasbourg au retour collectif, en passant par les divers séances plénières, ateliers, et même soirées concerts proposées deux soirs de suite. Ils étaient dix, à parité issus des associations d'éducation populaire Léo Lagrange et Afev, invités pour leur part par la députée, vice-présidente du Parlement européen Sylvie Guillaume. Le Lab'Afev a rencontré la moitié d'entre eux autour d'un café fin juin, à peine plus d'un mois après la tenue du EYE, réunion au sein même des locaux de l'Assemblée européenne de plus de 7000 jeunes issus de toute l'Europe. Selon eux, l'événement, qui a failli être annulé pour des raisons de sécurité – état d'urgence oblige -, était « globalement bien organisé », et les a enthousiasmés sans les transformer pourtant en béni-oui-oui. Organisée pour la première fois en 2014, le même mois que les dernières échéances électorales, cette « rencontre de la jeunesse européenne » s'est pour la troisième fois tenue, de façon visiblement satisfaisante. Des milliers de jeunes, invités par divers parlementaires ayant souvent participé aux débats, s'y sont rencontrés, autour d'une quantité impressionnante d'ateliers et de séances organisés dans l'hémicycle, avec débats, prises de parole et votes afin de mettre sur pied un catalogue de 50 propositions autour de cinq thématiques principales : « guerre et paix », « apathie ou participation », « exclusion ou accès », « stagnation ou innovation », développement durable. Parallèlement, des rencontres et temps-forts plus informels, comme la visite des locaux « à la manière d'un chef d'Etat », ou des interviews de participants improvisées par les dix jeunes au sein des (parfois longues) files d'attente, suivant un canevas simple de deux questions : « Que représente l'Europe pour vous ? » et « Quel peut être le rôle des jeunes pour lutter contre les inégalités ? ».Ateliers constructifs, houleuses séances plénières
S'étant répartis en fonction de leurs centres d'intérêt au sein des différentes animations thématiques – laïcité, budget européen, réfugiés, etc. -, ils ont aussi établi des comptes-rendus et confronté leurs expériences. Particulièrement à propos d'un sujet sensible, celui des réfugiés. La séance plénière consacrée au sujet, intitulée « Les migrations : à travers l'univers », a donné lieu dans l'hémicycle à un tir de barrage de la part de participants visiblement conviés par des élus d'extrême-droite, bien décidés à déplacer le débat du « comment accueillir ? » au « faut-il accueillir ? ». Conséquence ? Des débats « très houleux », selon David Leseigneur, administrateur Léo Lagrange, qui y a participé. Et un vote final qui, pour avoir démontré un soutien global à l'idée d'accueillir les migrants (à 74%, soit 619 voix sur 833 votants), n'en a pas moins offert, sur l'écran, une photo révélatrice de la ventilation des opinions politiques – y compris chez les jeunes – sur les bancs, avec une nette apparition de la couleur rouge au fur et à mesure de la progression à droite. Plus tôt dans la journée, Mélanie Imbert, salariée Afev, participait à un atelier cette fois, intitulé « Réfugiés, bienvenue en Europe ? », en présence notamment d'un réfugié palestinien. « Plus pratico-pratique », ce workshop semble avoir selon elle « rassemblé des gens très concrets, au-delà des débats d'idées théoriques, plutôt pour tenter de trouver des solutions d'urgence. Il y avait de vrais arguments de fond, c'était pas des rigolos ! » Cet atelier, comme par exemple celui intitulé « Budget européen : misez sur la jeunesse ! » auquel a participé l'étudiante Abira Hadhek, a donné lieu à la rédaction de propositions, remises ensuite, après écrémage et vote, par certaines associations organisatrices aux instances du Parlement. Un document a finalement été édité, listant les cinquante propositions finalement retenues. Qu'avaient-ils conservé de cette expérience, quelques semaines plus tard ? Pour Mélanie, qui s'y était rendue « dans l'espoir de parler aussi avec des gens n'ayant pas trop le même avis que moi » - et à ce titre plutôt restée sur sa faim, à l'instar de ses « collègues », face à une population de jeunes plutôt politisés et intéressés par la problématique européenne -, surtout le sentiment que « finalement, la direction prise par l'Europe n'est pas si différente que cela de ce que l'on pourrait espérer pour son avenir. » David, lui, retiendra un groupe de plusieurs milliers de personnes « plutôt convaincues par l'Europe, même si on sait tous qu'il y a des tas de choses à changer », et le fait qu'individuellement, « ça nous a permis de mieux comprendre le fonctionnement des institutions européennes, mais au-delà de ça, certains ont pu réaliser qu'il y avait moyen d'agir dans les faits. Et puis c'est intéressant aussi de voir les locaux, comment ils sont organisés sans dorures, mais de manière efficace et technique, pour favoriser le débat »... plutôt que le seul prestige des élus, semble-t-il sous-entendre. Au rayon de leurs réserves, au delà de questions purement liées à l'organisation (comme la traduction en trois langues seulement des séances plénières, pour un public issu de nombreux pays, ou même l'obligation de se débrouiller en anglais au sein des ateliers, malgré des niveaux de maîtrise très variables), ils questionnent aussi la suite qui sera donnée aux propositions nées de ces échanges : « L'optique de l'événement, indique Marion Alphonse, bénévole de l'Afev, c'était de montrer comment ça marche et sur quoi ça va aboutir. Là, on a abouti à quelque chose, mais on ne sait pas ce qu'il va en être fait. » Abira, de son côté, insiste sur l'intérêt qu'il y aurait de mettre en place une plateforme d'échanges en amont, en particulier sur les dossiers complexes, « afin de débuter plus tôt la réflexion », et d'arriver mieux armés. Une idée qui semble d'ailleurs être envisagée par les organisateurs.Optimisme pragmatique
Autre piste de réflexion stimulante, une certaine homogénéité au sein des participants a été déplorée : s'ils sont bien conscients d'avoir hérité en bénéficiant d'une telle expérience d'une charge comparable à celle d'ambassadeurs au sein de la jeunesse, afin de mieux faire connaître l'Europe et de la rendre plus accessible à tous (« de la démocratiser un peu plus » selon David), ils n'ignorent pas que leur statut d'étudiants ou de responsables associatifs leur fournissait sur le sujet une longueur d'avance par rapport à d'autres populations. Pour le prolixe administrateur de Léo Lagrange : « On a tous été un peu initiés à l'Europe, mais il ne faut pas oublier qu'il existe d'autres jeunes qui ne se sentent pas concernés. Même Erasmus, ça ne touche finalement que les étudiants, il ne faut pas l'oublier. Eye aurait intérêt non pas à nous chercher nous, mais ces autres jeunes là. » Mélanie lui emboîte le pas : « Les jeunes qu'on accompagne ont du mal à comprendre le fonctionnement de leur quartier, plus encore de la ville ou de la région, voire la France... Alors comprendre l'Europe, c'est encore plus lointain, comme le dernier échelon d'un monde incompréhensible. » Et Marion d'enfonce le clou : « Nous on est déjà sensibilisés. Quid des gens qui grandissent au dehors des universités, dans notre public à nous ? C'est là aussi qu'il faudrait aller chercher des participants, même si je me doute bien que la chose n'est pas facile. » A bon entendeur... Preuve en revanche que les choses évoluent, Mélanie cite une personne croisée sur place et qui, si elle avait bien conscience de vivre quelque chose d'exceptionnel, se demandait un peu au départ ce qu'elle faisait là... pour finalement en repartir convaincue. De son côté, Abira se souvient « qu'il y a encore un an, même si j'étais déjà étudiante, je n'étais pas forcément très réceptive à la problématique européenne. » Il lui aura fallu un stage de cinq semaines en Irlande, via le programme Leonardo da Vinci et Léo Lagrange, pour s'y intéresser de plus près, jusqu'à participer à Eye : « Quand le système européen se sera mieux démocratisé, les jeunes générations que nous sommes, et celles qui nous suivent vont évoluer, et mieux comprendre l'intérêt de l'Europe. » A ce titre, même le référendum pour ou contre le Brexit, dont la campagne battait son plein au moment des journées strasbourgeoises (et dont le résultat était tombé quelques jours avant notre échange), ne leur apparaît pas comme un drame : « C'est l'avantage de la jeunesse, indique David, d'avoir plus les yeux dirigés vers devant que vers derrière. Et là, je prends cette décision comme une chance : celle en tout cas de pouvoir rebousculer la conception de l'Union européenne, de réinterroger, réorganiser les choses, par crainte que d'autres ne décident de sortir. » Acquiescement général, et reprise par Sophie Khatib, administratrice Léo Lagrange : « Après tout, elle est jeune, l'Union européenne, comme nous. A nos yeux, elle peut paraître vieille, immense, un vieux dinosaure, mais à l'échelle de l'Histoire, c'est une toute jeune formation réunissant plein de pays différents : ça nécessite du temps, de mettre ça en place, surtout quand le concept géopolitique n'a plus rien à voir avec ce qu'il était à l'époque de sa création. » Ainsi, pour améliorer les choses, et faire perdre à l'Union européenne sa dimension technocratique (réelle comme fantasmée), pour redonner aussi tout son rôle à un Parlement européen qui, après tout, devrait être la pierre angulaire du processus démocratique au sein du Vieux Continent, plusieurs acteurs sont désignés directement par ces cinq jeunes, pragmatiques optimistes : « Le rôle de la presse, selon Marion rejointe par David, qui n'est pas vraiment dans l'analyse, plus dans la réaction à chaud, alors que les décisions européennes, complexes, mériteraient d'être décortiquées plutôt que caricaturées » ; « Les parlementaires eux-mêmes, selon Mélanie, qui devraient se demander comment renouer le lien avec les citoyens, par exemple via les réseaux sociaux » ; mais aussi l'Education Nationale, selon Sophie, qui insiste : « On aborde dans les programmes l'Europe de manière peu motivante, on n'a pas rendu vivant ce thème-là, au sein de nos générations, en se bornant à énoncer les fonctions et les processus décisionnels sans aller au-delà. » C'est tout ? Non, bien sûr, car prompts à relever les torts des institutions, ces cinq-là savent aussi prendre leur part de responsabilité : « On ne doit pas compter que sur Eye, précise David, que se reposer sur les autres : le fait d'y a voir participé nous donne un rôle, une sorte de mission »... celle d'en tirer les enseignements pour s'interroger concrètement, en tant que citoyens comme, pourquoi pas, de futurs représentants, sur le rôle qu'ils peuvent jouer dans son amélioration. François PERRINPartager cet article