par Eric Debarbieux - Université Paris-Est Créteil
La déchirure idéologique alimentée par le discours de « l’antipédagogie » a un important effet de réel. Elle fait considérer les relations humaines et les tâches éducatives comme mineures, voire dangereuses. À force d’affirmer que l’on ne peut être enseignant qu’en « n’oubliant pas qu’on fait cours et qu’on tient, face aux élèves, avec du savoir, et pas avec des pratiques pédagogiques », le risque est évidemment le repli sur soi dans son pré carré, au nom de la transmission solitaire des savoirs. Ce problème, qui pouvait passer comme une bataille confinée aux cercles pédagogiques s’est accéléré ces dernières années. Sous les attaques répétées des néoconservateurs, « l’antipédagogie » est devenue un argument électoral, voire la base de politiques publiques.
Est-il bouleversant de penser que si les élèves se sentent bien et que les professionnels de l’école éprouvent une vraie satisfaction au travail les performances scolaires, se porteront mieux ? En France, apparemment oui, et les « climatosceptiques » sont légion qui prônent le retour aux « fondamentaux » et confondent bien-être et laxisme. Comme si le travail en commun n’avait pas d’importance, et que tout le « sale boulot » devait être délégué à des spécialistes de l’ordre – fussent-ils des CPE, des policiers ou des associatifs.
Qu’on ne s’y trompe pas : la nécessité du travail en équipe n’est pas un « tous ensemble » joli et attirant, mais fort bourgeois-bohême. En tant que spécialiste de la violence à l’école, je peux bien l’affirmer : c’est aussi une nécessité criminologique liée à l’évolution de la violence à l’école, depuis les années 1990 : à des violences « individuelles » a succédé une violence clairement liée à un sentiment d’appartenance à des groupes s’identifiant contre les institutions. Espérer régler ce type de violences seul dans sa classe est un leurre. La protection de chacune et chacun par tous est une nécessité. La victime est le plus souvent un individu isolé, sans recours et sans entraide, qu’il s’agisse d’un enfant ou d’un adulte. La véritable prévention situationnelle n’est pas la prévention technique dont on nous rebat les oreilles. La véritable prévention de la violence est l’existence de « gardiens » capables de réagir, de faire protection par leur seule présence – je n’entends pas là des policiers ni uniquement les surveillants ou le directeur, mais tout collègue, ami, parent, bref, il n’est de protection efficace sans un réseau social, sans un collectif.
C’est de l’abandon de l’espace public que naît une partie de la violence. Nous voyons trop souvent ce mécanisme se mettre en place, chacun se repliant sur son quant-à-soi, dans sa classe. Alors les espaces intermédiaires ne sont plus pris en charge. Ces espaces s’ouvrent alors souvent à une violence plus lourde, qui s’exprime entre élèves, et parfois de manière antiscolaire contre des enseignants.
Alors soyons clairs : il s’agit bien d’engager la lutte contre le « climatoscepticisme ». Une approche par le climat scolaire n’est pas une approche molle. Il serait temps de renverser le stéréotype sous-jacent qui veut qu’à une approche de ce type soit accolée une étiquette infamante de type « bisounours attardé soixante-huitard). La vraie naïveté est de ne pas considérer l’école comme un collectif, où la parole de tous les acteurs est d’égale importance, organisée dans une communauté juste plutôt que dans des conflits mortifères.
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