Présente depuis vingt ans à Rennes (35) et dix-sept à Brest (29), l’Afev a ouvert en 2022 un pôle à Lorient (56), et l’an dernier deux autres à Vannes et Saint-Brieuc (22), disposant ainsi, désormais, d’une implantation sur chacun des quatre départements bretons. Or ces trois inaugurations récentes ont reposé à chaque fois sur la mise en place locale du programme Apprentis Solidaires, aujourd’hui piloté sur toute la région par Chloé Kermarrec, qui avec sa collège Cindy Kerouasse avait "ouvert" le pôle lorientais. Le Lab’Afev s’est rendu en reportage, sur place.
Ils étaient neuf, jeudi 4 avril dernier, dans la salle réservée à l’Afev de La Colloc, tiers-lieu innovant situé avenue de la Perrière à Lorient (56). Neuf membres de l’une des deux nouvelles promos Apprentis Solidaires lancées en janvier dernier. Depuis octobre 2022 en effet, l’Afev est réapparue dans la "ville aux cinq ports", comme depuis janvier à Saint-Brieuc (22) et Vannes (56), via la mise en œuvre locale de son programme spécifique de « préparation à l’apprentissage à travers un engagement solidaire ».
2022/2023 : l’Afev de retour à Lorient !
Au menu de cette matinée : comme tous les lundi et jeudi matin, un atelier participatif de réflexions et d’échanges, cette fois autour du « rapport aux écrans » - introduit par la projection du documentaire américain Derrière nos écrans de fumée, puis animé par les deux Coordinatrices locales d’Apprentis Solidaires, Pauline Eberhard et Cindy Kerouasse. Après la pause-déjeuner, nouveau temps fort pour la vingtaine de membres des deux promos, en lien direct avec le tissu économique local : la visite du site lorientais du constructeur maritime Naval Group , l’héritier à envergure internationale des arsenaux français. Soit une journée particulièrement riche, à laquelle ces jeunes de 16 à 25 ans ont participé activement, portés par un mélange d’engagement, d’intérêt et d’enthousiasme non feint.
Une journée comme celle-ci, aussi dense qu’innervée par les contacts locaux qu’elles ont su construire et continuent à enrichir tous azimuts, c’était l’an dernier la même Cindy Kerouasse, accompagnée de sa collègue Chloé Kermarrec (Pauline Eberhard ne les ayant rejointes que cette année), qui avaient créé les conditions de sa mise sur pied, en tant que Chargées de développement local dévolues au programme Apprentis Solidaires. La première, éducatrice spécialisée formée à l’AFPE Saint-Brieuc, a notamment travaillé pour les Apprentis d’Auteuil et le Conseil départemental du Morbihan avant de prendre son poste à l’Afev en octobre 2022… en même temps que la seconde, Lorientaise d’origine spécialisée dans l’éducation à l’Economie sociale et solidaire, passée par Bordeaux, Lyon (et la Chine !) avant de revenir travailler au Pôle d’économie positive, sociale et solidaire (PEPS) d’Auray puis pour l’Afev dans sa ville natale.
Chloé l’indique aujourd’hui : « Dès le début, nous avons formé un très bon binôme, du fait de nos deux parcours très complémentaires. » En effet, quand l’une dispose d’une « bonne connaissance des acteurs de l’insertion, d’une forte expérience de la gestion d’un groupe », l’autre s’illustre par « une affinité pour la création de partenariats, pour le développement. » Ainsi, après avoir enchaîné les rendez-vous avec les acteurs locaux dès leur prise de poste fin 2022, elles sont en mesure, dès janvier 2023, de lancer les deux premières promotions lorientaises, impliquant 21 jeunes Apprentis Solidaires. Chacune prend en charge un groupe d’une dizaine de ces derniers, en multipliant par ailleurs les temps partagés par l’intégralité d’entre eux.
Démultiplication des Apprentis solidaires bretons
A l’époque, pour la Délégation régionale "Grand-Ouest" de l’Afev (qui regroupe Bretagne et Pays de la Loire), c’était le Nantais Gwenael Morvan qui "chapeautait" l’ensemble des promotions du territoire, en tant que "Développeur-Manager" du programme pour les deux régions. Mais dès l’année suivante, du fait de l’ouverture d’antennes dédiées dans un certain nombre de nouvelles villes (qui ont fait grimper le nombre de promotions de sept à quinze sur ce secteur), son poste est dédoublé : Chloé Kermarrec, « convaincue de son utilité réelle pour les jeunes », gère donc désormais le développement du programme non plus seulement sur Lorient, mais à l’échelle de toute la région Bretagne – avec, en particulier, le lancement de deux promotions Apprentis Solidaires à Saint-Brieuc et de deux autres à Vannes en janvier 2024. Cette même journée du 4 avril allait d’ailleurs se conclure sur l’inauguration, précisément, de l’Afev Saint-Brieuc.
Or, pour chaque ouverture de promotions sur une nouvelle ville, le calendrier est très serré : recrutement de responsables au dernier trimestre de l’année N-1… pour un lancement en janvier de l’année N ! Pendant ce bref intervalle, il s’agit non seulement de faire connaître l’Afev et ses actions sur ce nouveau territoire, mais également de tisser des liens tant avec les associations que les entreprises et collectivités locales, afin d’être en mesure de proposer aux jeunes ainsi "embarqués", d’entrée de jeu, des missions solidaires, des activités, la découverte des acteurs économiques… Il y a donc, « sur un temps très court, toujours selon Chloé Kermarrec, beaucoup de travail à abattre. » Ce qui s’avère à la fois « très exigeant… et très stimulant, parce que tu acquiers très rapidement une perception complète, une analyse très précise du territoire. »
Les résultats ne se font d’ailleurs pas attendre : pour la Bretagne, en janvier 2024, on comptait 20 Apprentis solidaires à Lorient, 21 à Saint-Brieuc, 14 à Vannes et 10 à Rennes. Avec, déjà, des retours particulièrement enthousiastes, par exemple « de la part de nos partenaires prescripteurs – France Travail, missions locales -, qui nous disent que ce qu’ils trouvent intéressant, c’est que nous faisons un peu de tout : de la formation professionnelle, de l’accompagnement personnel, et en plus, ce que nous sommes les seuls à proposer, des missions solidaires… »
Le succès d’une intense politique partenariale
D’autant, qu’à Lorient, « sur l’année dernière, nous avons obtenu le chiffre de 76% de "sorties positives" » - soit de jeunes accédant à un emploi ou à une formation à l’issue de leur passage par le programme. Et pour cette année ? « Je pense que les taux de sorties positives seront encore meilleurs », estime Chloé, qui constate notamment qu’en matière de santé mentale, « cette année, on sent que les jeunes vont déjà mieux. » Pour y parvenir, même si Cindy et Chloé connaissaient d’emblée, du fait de leurs parcours personnels, « pas mal de gens sur Lorient », il a fallu bien entendu multiplier les contacts et initier puis consolider les partenariats.
Avec le Secours Populaire, par exemple, ou l’association l’Art s’emporte de Lanester (ou un "Apps" se rend « une fois chaque semaine pour aider des personnes âgées ou en situation de handicap à réaliser des œuvres artistiques »), avec le Centre Social et culturel de Keryado , autour du projet Silver Geek … Si un jeune rêve de devenir réalisateur ou scénariste, on le met en lien avec le cinéma associatif Le Vulcain à Inzinzac-Lochrist. Si d’autres témoignent d’une appétence pour l’animation, la transmission de connaissances, on leur propose de devenir mentors de collégiens ou d’élèves d’école primaire. « Ce que je dis tout le temps, à chaque partenaire, souligne Chloé Kermarrec, c’est qu’Apprentis Solidaires, c’est du sur-mesure : pour répondre aux besoins d’un jeune, nous disposons d’une énorme palette de leviers à actionner avec lui. »
Et côté entreprises ? Là aussi, une évidente diversité est à l’honneur : « Nous pouvons les mobiliser de plein de façons différentes, en nous adaptant à la fois à leurs possibilités d’engagement, au bassin d’emploi de chaque territoire et aux projets professionnels des jeunes eux-mêmes. » Ainsi, toujours sur le seul périmètre du pays lorientais, le réseau s’est tissé au fil de rencontres avec la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) du Morbihan ou de forums des métiers. Désormais, certaines entreprises peuvent donc « s’engager en faisant du mécénat de compétences » (comme Adecco , qui « propose deux jours de congé bénévole à ses salariés »), d’autres en venant rencontrer ou en ouvrant leurs portes aux jeunes pour une visite (comme Naval Group, donc, mais aussi Guerbet – spécialisée dans l’imagerie médicale -, Le Doussal – dans les semelles orthopédiques - ou encore, par exemple, un notaire lorientais)… sans même parler, bien entendu, de la possible participation à une levée de fonds pour soutenir les actions locales de l’Afev. Tout ceci visant, avant tout, à « sortir des sentiers battus de l’orientation » en multipliant expériences originales et terrains propices à la saisie d’opportunités.
Insertion professionnelle… et citoyenne
Cette année, les Apprentis Solidaires de Lorient n’ont en réalité qu’un seul réel dénominateur commun : tous ont décroché de l’école, des études, « entre il y a deux mois et il y a dix ans », et sont désormais désireux de se sortir d’une « forme d’isolement, voire d’inertie - dans le sens où ils n’étaient plus, auparavant, mus par une dynamique, animés par un projet »… Certains ont abandonné un CAP pour lequel ils s’étaient inscrits « par défaut », d’autres ont vécu une mauvaise expérience d’alternance ; certains ont souffert de phobie ou de harcèlement scolaire, d’autres entamé puis abandonné des études supérieures… Si les profils varient, l’ambition de l’association est la même pour tous.
Mais alors, quelle est-t-elle ? En plus de proposer un accompagnement à la « reprise de confiance en soi », une préparation effective à la maîtrise des codes du monde professionnel, le programme ambitionne de les aider à « se rendre compte à la fois de leurs capacités et de toutes les opportunités qui existent autour d’eux. » Ceci afin de faciliter, bien sûr, leur insertion professionnelle, mais aussi de leur permettre de « trouver leur place en tant que citoyens bien intégrés, capables d’exprimer leur avis, de percevoir qu’ils peuvent jouer un rôle social, être utiles à la société y compris à travers le bénévolat, en attendant de décrocher un boulot. »
Un travail qui peut d’ailleurs être réalisé en lien avec les familles, « quand nous sentons que ces dernières peuvent faire office de relais, de soutien ; que l’implication des parents est positive, "cadrante" pour les jeunes. » On le voit donc clairement : si les leviers à actionner sont nombreux, le succès du programme témoigne bien du fait que la demande est là, tant du côté des bénéficiaires que des acteurs locaux – ceux liés à l’insertion comme ceux misant sur la solidarité.
François Perrin
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