« Élever le niveau de conscience des groupes et des individus, dans le monde entier. »

Patrick Viveret  1252 x 410

À l'occasion de la quinzième édition des Dialogues en humanité, festival mondial sur la question humaine organisé du 3 au 5 juillet 2015, sous les arbres du Parc de la Tête d'Or à Lyon, le Lab' Afev s'est entretenu avec le philosophe Patrick Viveret, co-fondateur de l'événement et auteur cette année de Fraternité, j'écris ton nom ! (éditions Les liens qui libèrent), et, avec Mathieu Baudin, de Le bonheur en marche (éditions Guérin).

Comment est née cette idée des Dialogues en humanité ?

En 2002, à l'occasion du Sommet mondial de Johannesburg sur le développement durable, alors que j'étais l'auteur, en tant que conseiller référendaire à la Cour des Comptes, du rapport « Reconsidérer la richesse » , j'ai rencontré le maire de Lyon Gérard Collomb, grâce à Geneviève Ancel, chargée du développement durable pour le Grand Lyon. Nous avons décidé de lancer les Dialogues à Lyon, en marge d'événements internationaux que la ville accueillait, afin d'intégrer systématiquement une dimension anthropologique - « anthropolitique » aurait dit Edgar Morin – aux réflexions de la communauté internationale.

Comment a évolué ce festival depuis sa création ?

D'une part, l'évènement s'est réellement internationalisé. Alors qu'au démarrage, il ne se déroulait qu'à Lyon avec une représentation internationale, certains participants ont décidé d'exporter l'idée. On trouve aujourd'hui des Dialogues en humanité en Inde, à Bangalore (en février), au Brésil, à Salvador de Bahia et Rio de Janeiro (en octobre), au Bénin, en Ethiopie, à Berlin (en juin)... D'autre part, la mutation a été très nette sur la forme : au départ, on avait adopté une forme classique en salles de congrès. Puis rapidement, nous avons installé les échanges sous les arbres du parc de la Tête d'Or, nous avons étendu la manifestation à trois jours, et associé de manière systématique l'intelligence sensible, l'intelligence du corps et du cœur, à celle de l'esprit, plus purement « intellectuelle ». Ainsi sont nés les « ateliers du sensible »...

L'intelligence de l'esprit et celle du corps ne semblent-elles pas indissociables, en effet, à l'auteur du Bonheur en marche ?

Absolument, et je me suis d'ailleurs moi-même nourri de ce qui se passait aux Dialogues pour nourrir ma réflexion et avancer dans mon travail. Mais je ne suis pas le seul ! Les forums mondiaux accordent une place de plus en plus importante à l'axe TPTS (Interactions Transformation personnelle - Transformation Sociale), de manière générale.

Au fil du temps, comment l'audience des Dialogues a-t-elle évolué ?

On sait qu'il y a de plus en plus de monde – et à l'échelle de la planète désormais -, bien sûr, mais nous ne fonctionnons pas ainsi en comptabilisant. Au contraire, il n'y a pas de guichet à l'entrée, tout un chacun a la possibilité d'intervenir, et dans la mesure où nous nous installons dans le parc de la Tête d'Or, des gens qui n'avaient pas forcément connaissance de l'événement y prennent part naturellement. C'est exactement ce que nous visons, puisqu'il s'agit pour nous d'élever le niveau de conscience des groupes comme des individus, et ce dans le monde entier.

Quels seront les temps forts de cette quinzième édition ?

À la différence d'un colloque classique, les temps des Dialogues ne sont pas essentiellement rythmés par les interventions des différentes personnalités. Dans la mesure où la parole est libre, où la partie artistique nous semble aussi importante que la partie proprement « intellectuelle », nous allons de surprises en découvertes. Pour citer quand même quelques temps forts la participation d'Abdennour Bidar nous fait très plaisir tout comme celle de Thomas d'Ansembourg, l'un des principaux théoriciens de la communication non-violente... Nous espérons également pouvoir compter sur la présence d'Edgar Morin. Pour chacun de ces intervenants il s'agira moins d'une tribune que d'un temps d'échanges vivants.

Quels concepts en particulier seront abordés cette année ?

Les Dialogues en humanité seront traversés par la question du lien entre citoyenneté (y compris planétaire) et fraternité. Sur toutes les problématiques – qu'elles soient écologiques, économiques ou sociales -, on ne peut plus raisonner à partir d'un cadre national. La situation n'est plus celle d'après-guerre quand Garry Davis inventa le concept de « citoyen du Monde ». Et il faut maintenant passer des paroles aux actes. Ce qui tombe d'ailleurs plutôt bien, puisque cette année les Dialogues se tiendront à la suite du Sommet mondial Climat et Territoires les 1er et 2 juillet à Lyon, à l'occasion duquel des « Side events » seront d'ailleurs organisés : nous serons donc présents dès le 1er juillet.

Qu'entendez-vous précisément par ce lien entre citoyenneté mondiale et fraternité ?

Quand Abdennour Bidar écrit, dans son Plaidoyer pour la Fraternité, qu'« il fait trop froid en Occident », il parle aussi du contraste entre le réchauffement climatique et la glaciation des échanges, en termes relationnels. De la même façon, quand le Pape François reprend dans son dernier encyclique la phrase de Benoît XVI : « Les déserts extérieurs se multiplient dans notre monde, parce que les déserts intérieurs sont devenus très grands », c'est pour ajouter que la crise écologique rend urgent une profonde conversion intérieure. Enfin, pour ne prendre qu'un exemple, se déplacer en covoiturage est plus écologique que de conduire seul sa voiture, et cela implique une plus grande proximité entre les êtres, qui cohabitent et doivent s'organiser. Les deux idées vont de pair.

Propos recueillis par François Perrin

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