« Dès lors que le niveau d’éducation et la nature des parcours scolaires deviennent des critères essentiels pour définir la place des individus dans la société, la question de l’équité à l’école relève d’une exigence démocratique », affirme Georges Félouzis dans son ouvrage Les inégalités scolaires (Que sais-je ? PUF). On ne saurait mieux résumer l’enjeu des inégalités scolaires aujourd’hui, et tout particulièrement en France, qui nous disent des choses sur l’école mais aussi sur la société.
Une démocratie ségrégative
Au cœur des débats autour de la refondation de l’éducation prioritaire, et peu avant la 7ème journée du refus de l’échec scolaire organisée par l’Afev, ce livre a été le bienvenu pour établir un état des lieux des inégalités scolaires en France, en analyser les enjeux et causes, avant de questionner des exemples de solutions politiques. Georges Félouzis met en évidence le fait que la démocratisation scolaire, traduite par la massification de l’accès à l’école, ne s’est pas accompagnée d’une démocratisation qualitative. Autrement dit, le mouvement ayant bénéficié à tous les groupes sociaux de manière uniforme, les écarts restent ainsi échangés. Ils se sont même aggravés pour les diplômes les plus élevés du supérieur et les grandes écoles, laissant naître de véritables « titres de noblesse » selon l’expression de Bourdieu. A cela s’ajoute la spécialisation sociale des filières, au lycée par exemple, où les jeunes issus de familles favorisées sont bien plus nombreux dans les filières générales que technologiques et professionnelle. D’où l’expression de « démocratisation ségrégative » de Pierre Merle.Egaux en droit mais pas en fait
C’est sans parler là des inégalités d’apprentissages qui se renforcent : les performances des élèves mesurées par la DEPP ne cessent de diminuer depuis 1987, avec un écart accru entre les enfants issus de milieux favorisés et ceux plus défavorisés, en particulier au collège. Ce professeur de sociologie des politiques éducatives explique en quoi les inégalités sont non seulement issues des inégalités sociales, économiques et culturelles déjà existantes au sein de la société entre les élèves, mais aussi comment l’école produit elle-même des inégalités spécifiques. Le système éducatif favorise ces écarts du fait de son organisation et de son fonctionnement car « considérer les élèves comme égaux en droit ne suffit pas dès lors qu’ils sont inégaux en fait ».Des pistes de solutions qui émergent
Ainsi, la solution privilégiée en France de l’éducation prioritaire reste limitée tant les moyens alloués sont faibles, en termes financiers certes, mais aussi humains, dans la mesure où ce sont majoritairement de jeunes enseignants débutants qui y exercent. Cette politique publique, comme celle de la libéralisation de la carte scolaire depuis 2007, n’est pas sans effet pervers : des stratégies individuelles d’évitement et de stigmatisation des établissements prioritaires ne font que renforcer la ségrégation scolaire, tant les codes sociaux et de l’école sont maîtrisés par les familles issues de milieux favorisés alors qu’ils ne sont pas forcément acquis par les autres familles. L’ouvrage de Félouzis est particulièrement en écho avec l’actualité éducative, notamment la refondation de l’éducation prioritaire. On pourra se réjouir des pistes prometteuses qui en émergent : développement de l’accueil des enfants de moins de trois ans, reconnaissance du temps hors classe consacré par les enseignants à la rencontre des familles ou la préparation des projets, etc. Mais cette réforme suffira-t-elle à résoudre le problème des inégalités éducatives en France ? Il est probable que non. C’est un véritable changement de notre paradigme éducatif qui est indispensable, celui-là même qui se dessinait en juillet 2013 au moment du vote de la loi pour la refondation de l'École, celui auquel appelle l’Afev et d’autres partenaires de l’école depuis plusieurs années. Et le Cercle de Recherche et d’Action Pédagogiques (CRAP) a bien raison de poser, dans le cadre des Assises de la pédagogie qu’ils organisent le 21 octobre, la question suivante : « Le changement, c’est maintenu ? ». Maude Vialla, chargée de mission à l'AfevPartager cet article