Claire Guichet : « Une jeunesse du système D, en grande partie habituée à s'adapter. »

Entretien Afev Claire Guichet

Membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE), Claire Guichet est à l'origine d'un rapport remarqué sur le logement autonome des jeunes. Aussi, les conclusions de l'enquête de l'OJS confirment l'analyse de cette ancienne présidente de la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE) pour qui le logement des jeunes constitue une "bombe sociale à retardement."

Membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE), Claire Guichet est à l'origine d'un rapport remarqué sur le logement autonome des jeunes. Aussi, les conclusions de l'enquête de l'OJS confirment l'analyse de cette ancienne présidente de la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE) pour qui le logement des jeunes constitue une "bombe sociale à retardement."

Que vous a inspiré cette enquête ?

Claire Guichet : L'ensemble de ses résultats m'a paru assez logique, même si j'ai été heureusement étonnée par le fait que 78% des 25-30 ans soient en CDI – alors que l'âge moyen du premier CDI est désormais fixé à 27 ans. J'ai également trouvé le chiffre concernant les propriétaires de leur logement très élevé. Concernant la répartition des jeunes entre le logement privé et le social, que je connais mieux, ceci constitue un enjeu fort pour le CESE : en 1988, le parc social était occupé à 29% par des jeunes et à 11% par des plus de 65 ans ; la situation s'est totalement inversée aujourd'hui. De fait, les différences de loyer entre le social et le privé sont telles que beaucoup de gens s'installent dans le parc social, alors qu'il s'agissait à une époque d'une simple entrée sur le marché du logement. Le logement social ne constitue plus un sas d'entrée. Conséquence directe : les jeunes se concentrent dans le parc privé, ce qui relève d'une incohérence totale puisque ces logements sont les plus chers et les plus difficiles d'accès... Enfin, dernière évidence confirmée par l'enquête : la difficulté généralisée, que l'on avait pu déjà observer en croisant nos sources et à l'occasion de nos auditions.

Cette difficulté généralisée dans l'accès au logement est-elle désormais incontestable ?

Claire Guichet : Pierre Bourdieu disait : « Il n'y a pas une jeunesse mais des jeunesses. » La situation est très différente en 2014 : l'allongement de la durée des formations et la difficulté d'insertion sur le marché du travail (avec la multiplication des allers-retours emploi/formation) entraînent un temps de plus en plus long d'accès à la stabilité. Cette phase s'allonge indéniablement, et même si des différences entre les jeunes subsistent, tous y sont confrontés. Avec en plus un effet-domino de plus en plus marqué, sur le marché du travail comme sur celui du logement : les plus privilégiés revoient leurs ambitions à la baisse, forçant les moins privilégiés à faire de même... Ainsi, les niveaux de rémunération des jeunes en foyers de jeunes travailleurs augmentent, tandis que les étudiants disposant de garanties parentales apparaissent comme de meilleurs candidats à la location que les jeunes salariés sans garants.

D'où une « double peine » infligée aux moins favorisés ?

Claire Guichet : Les jeunes n'ont pas tous les mêmes problèmes, mais on assiste à des phénomènes d'aggravation de ce que l'on peut constater sur l'ensemble de la population : les jeunes disposent de plus petits salaires, les bailleurs leur préfèrent souvent des personnes mieux installées... Du coup, la question de la confiance et le poids des préjugés les écrasent : les jeunes seraient bruyants, peu solvables, etc. Et si beaucoup d'entre eux ne se rendent plus compte qu'ils sont victimes de discrimination, dans les faits, cette dernière joue à plein.

Et que dire des jeunes vivant chez leurs parents : leur dépendance est-elle subie ?

Claire Guichet : La France est l'un des pays où le départ du foyer familial intervient le plus tôt, mais où l'aide de la famille est la plus forte. Dans un pays grand et centralisé, les envies et opportunités de bouger sont grandes. Du coup, surtout dans les zones périurbaines et chez les plus pauvres, l'impossibilité de quitter le domicile familial est vécue comme une réelle injustice.

Pour autant, n'assiste-t-on pas à une résignation des jeunes ?

Claire Guichet : Je trouve cette sentence abusive de prime abord, moins à la réflexion. Il est vrai qu’il y a, surtout pour le logement, un vrai « mythe bohème » (je suis précaire mais dans mon chez moi), les jeunes acceptent des choses qu'ils ne devraient pas accepter. Je ne dirais pas que la jeunesse est résignée mais habituée – c'est une jeunesse du système D, en grande partie habituée à s'adapter. Et du coup, nous sommes assis sur une bombe sociale à retardement, entre le toujours plus de flexibilité pour l’emploi et la formation d'une part et le marché du logement qui lui est très rigide, d'autre part. Mais la politique du logement est l'une des plus difficiles à transformer : grand nombre d'acteurs, opinions très idéologisées, politiques publiques de très long terme... Le CESE a pourtant proposé en 2013 toute une série de préconisations, dans ses rapports et avis, aisément consultables sur notre site internet. Propos recueillis par François Perrin

Que vous a inspiré cette enquête ?

Claire Guichet : L'ensemble de ses résultats m'a paru assez logique, même si j'ai été heureusement étonnée par le fait que 78% des 25-30 ans soient en CDI – alors que l'âge moyen du premier CDI est désormais fixé à 27 ans. J'ai également trouvé le chiffre concernant les propriétaires de leur logement très élevé. Concernant la répartition des jeunes entre le logement privé et le social, que je connais mieux, ceci constitue un enjeu fort pour le CESE : en 1988, le parc social était occupé à 29% par des jeunes et à 11% par des plus de 65 ans ; la situation s'est totalement inversée aujourd'hui. De fait, les différences de loyer entre le social et le privé sont telles que beaucoup de gens s'installent dans le parc social, alors qu'il s'agissait à une époque d'une simple entrée sur le marché du logement. Le logement social ne constitue plus un sas d'entrée. Conséquence directe : les jeunes se concentrent dans le parc privé, ce qui relève d'une incohérence totale puisque ces logements sont les plus chers et les plus difficiles d'accès... Enfin, dernière évidence confirmée par l'enquête : la difficulté généralisée, que l'on avait pu déjà observer en croisant nos sources et à l'occasion de nos auditions.

Cette difficulté généralisée dans l'accès au logement est-elle désormais incontestable ?

Claire Guichet : Pierre Bourdieu disait : « Il n'y a pas une jeunesse mais des jeunesses. » La situation est très différente en 2014 : l'allongement de la durée des formations et la difficulté d'insertion sur le marché du travail (avec la multiplication des allers-retours emploi/formation) entraînent un temps de plus en plus long d'accès à la stabilité. Cette phase s'allonge indéniablement, et même si des différences entre les jeunes subsistent, tous y sont confrontés. Avec en plus un effet-domino de plus en plus marqué, sur le marché du travail comme sur celui du logement : les plus privilégiés revoient leurs ambitions à la baisse, forçant les moins privilégiés à faire de même... Ainsi, les niveaux de rémunération des jeunes en foyers de jeunes travailleurs augmentent, tandis que les étudiants disposant de garanties parentales apparaissent comme de meilleurs candidats à la location que les jeunes salariés sans garants.

D'où une « double peine » infligée aux moins favorisés ?

Claire Guichet : Les jeunes n'ont pas tous les mêmes problèmes, mais on assiste à des phénomènes d'aggravation de ce que l'on peut constater sur l'ensemble de la population : les jeunes disposent de plus petits salaires, les bailleurs leur préfèrent souvent des personnes mieux installées... Du coup, la question de la confiance et le poids des préjugés les écrasent : les jeunes seraient bruyants, peu solvables, etc. Et si beaucoup d'entre eux ne se rendent plus compte qu'ils sont victimes de discrimination, dans les faits, cette dernière joue à plein.

Et que dire des jeunes vivant chez leurs parents : leur dépendance est-elle subie ?

Claire Guichet : La France est l'un des pays où le départ du foyer familial intervient le plus tôt, mais où l'aide de la famille est la plus forte. Dans un pays grand et centralisé, les envies et opportunités de bouger sont grandes.Claire Guichet : La France est l'un des pays où le départ du foyer familial intervient le plus tôt, mais où l'aide de la famille est la plus forte. Dans un pays grand et centralisé, les envies et opportunités de bouger sont grandes. Du coup, surtout dans les zones périurbaines et chez les plus pauvres, l'impossibilité de quitter le domicile familial est vécue comme une réelle injustice.

Pour autant, n'assiste-t-on pas à une résignation des jeunes ?

Claire Guichet : Je trouve cette sentence abusive de prime abord, moins à la réflexion. Il est vrai qu’il y a, surtout pour le logement, un vrai « mythe bohème » (je suis précaire mais dans mon chez moi), les jeunes acceptent des choses qu'ils ne devraient pas accepter. Je ne dirais pas que la jeunesse est résignée mais habituée – c'est une jeunesse du système D, en grande partie habituée à s'adapter. Et du coup, nous sommes assis sur une bombe sociale à retardement, entre le toujours plus de flexibilité pour l’emploi et la formation d'une part et le marché du logement qui lui est très rigide, d'autre part. Mais la politique du logement est l'une des plus difficiles à transformer : grand nombre d'acteurs, opinions très idéologisées, politiques publiques de très long terme... Le CESE a pourtant proposé en 2013 toute une série de préconisations, dans ses rapports et avis, aisément consultables sur notre site internet.

 

Propos recueillis par François Perrin

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