Christelle Van Ham : « Des préjugés très forts au sein des entreprises »

Dans le cadre de l’enquête Afev-Audirep de l’Observatoire de la jeunesse solidaire portant sur "le regard des français sur les jeunes" publiée en mars 2010, révélant -entre autre- que 51% des français ont une image négative des jeunes, l’Afev a interrogé un certain nombre d’acteurs pour réagir à ces chiffres, et notamment sur leur investissement dans la société. Entretien avec Christelle Van Ham, consultante auprès d’associations de jeunes, de fondations et d’entreprises et ancienne chargée de projets chez Ashoka US et France.

Comment réagissez-vous au regard globalement négatif des Français sur les jeunes ?

La ligne est fine entre les différents regards. La représentation que les gens ont des jeunes dépend du prisme qu’ils adoptent : un regard positif sur ceux qu’ils connaissent directement, beaucoup moins sur la « masse » des jeunes avec tous les clichés qui vont avec… La preuve que ce regard dépend très directement du ressenti, c’est que les sondés disent dans le même temps qu’ils aimeraient que les jeunes adultes bénéficient directement des aides – comme s’ils souhaitaient favoriser l’autonomie des jeunes qu’ils connaissent directement.

Faut-il aussi craindre un conflit des générations ?

Quand on vieillit on perd le pouvoir. Aujourd’hui, beaucoup de gens ont peur de perdre leurs acquis – surtout les générations qui vont quitter bientôt le monde du travail pour partir à la retraites. Que vont faire ces nouvelles générations qui vont demain prendre les rênes du pays ? Il y a certainement une angoisse parmi la population.

Vous avez une large expérience d’entreprenariat social, notamment à l’étranger. La situation des jeunes est-elle différente dans ces autres pays ?

Les expériences que j’ai pu avoir à l’étranger me font effectivement penser que la situation est très différente. En Inde, par exemple, les jeunes sont partout, on ne se pose même pas la question de leur faire confiance, de savoir quelle place leur trouver au travail… d’autant que ces jeunes ont souvent plus d’éducation que leurs aînés. On a envie, au contraire, qu’ils prennent les choses en main, qu’ils améliorent la situation dans le pays. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas un fossé, plutôt d’ordre culturel : les jeunes s’habillent à l’occidentale, s’émancipent des traditions… Pour prendre un pays plus proche de nous, j’ai été très surprise, jeune, par l’autonomie que les jeunes ont, comparés aux Français de leur âge. Je ressens aussi chez eux une capacité d’initiative bien plus forte que dans notre pays. Aux Etats-Unis, les parents ne savent souvent pas ce que leurs enfants font entre le matin où ils quittent la maison, et le soir quand ils rentrent… En France au contraire il y a l’idée que les parents doivent suivre très scrupuleusement le parcours de leur enfant notamment à l’école, car c’est optimiser leurs chances. C’est aussi parce que notre pays a une vision très scolaire de la réussite.

Votre travail consiste à aider des entrepreneurs sociaux à monter leur projet. Beaucoup sont des jeunes. Quelles sont les réactions quand vous présentez cette réalité autour de vous ?

Eh bien j’ai l’impression de décrire en permanence un monde que les gens ne connaissent pas. Le monde que je côtoie au quotidien c’est celui où les jeunes s’engagent dans la vie publique, montent des projets, cherchent du boulot, persévèrent malgré les discriminations quotidiennes… L’image du jeune attendant la fin du mois pour percevoir son chèque du RSA, je ne la comprends même pas ! L’envie des jeunes d’entreprendre, pour moi elle ne se discute pas, après les obstacles sont sans doute plus nombreux dans notre pays qu’ailleurs. Ne serait-ce que les barrières psychologiques que les gens se mettent eux-mêmes, parce qu’ils ne se pensent pas capables d’entreprendre un projet…

Le regard sur les jeunes est-il meilleur dans le monde de l’entreprise ?

Au contraire, les préjugés sur les jeunes y restent forts, notamment sur les jeunes des quartiers. Des enquêtes nous disent que 75% des directeurs des ressources humaines ont peur de recruter des jeunes des quartiers même s’ils ont le diplôme demandé ! On a envie de leur demander : quel est le risque ? Et ces DRH réticents sont les premiers à trouver extraordinaire ces jeunes quand ils les rencontrent, tellement ils sont surpris de leur personnalité, de leur parcours… Ce qui ne veut pas dire qu’ils les embauchent d’ailleurs, notamment dans certaines grandes entreprises. La situation est différente dans les PME où les jeunes ont souvent plus leur chance, mais il s’agit d’un segment limité du marché de l’emploi. Et par rapport au « mal français » qui place les études avant tout autre critère dans l’embauche, c’est aussi dans les petites entreprises que les entrepreneurs font plus confiance aux compétences qu’aux diplômes.

Faut-il aider directement les jeunes adultes, comme le préconisent les sondés, pour favoriser leur insertion ?

Le soutien direct aux jeunes, je suis pour à partir du moment où le jeune est préparé à l’assumer. La première étape avant ça, c’est un travail avec les parents et l’école pour accompagner le jeune dans cette émancipation. C’est à la fois très intéressant de donner au jeune les moyens de réaliser son autonomie et son destin, mais pour cela il faut que le jeune lui-même sache ce qu’il veut faire de cette autonomie – et je ne suis pas sûr qu’ils soient prêts à cela ni même qu’ils en aient envie dans les premières années de la majorité. Cela peut passer par des formations à la gestion d’un budget, le suivi de leurs projets personnels... Après, pour des aides très concrètes sur le logement, la restauration étudiante, il me semble plus facile d’aller vers des aides directes. Propos recueillis par Paul Falzon-Monferran Crédit photo equitel.fr

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