Professeur de sciences politiques à l’université de Cergy-Pontoise, Céline Braconnier est co-auteure avec Jean-Yves Dormaguen de "La démocratie de l’abstention : aux origines de la démobilisation électorale en milieux populaires"
En quoi percevez vous des changements de modes d'engagement des jeunes en politique ?
Céline Braconnier : Certains résultats de l'enquête de l’Observatoire de la jeunesse solidaire confirment d’abord la distance que les jeunes entretiennent à la politique institutionnelle. Loin derrière la famille, l’emploi, les amis ou les études, elle ne compte que pour un jeune sur deux, et moins encore pour les filles que pour les garçons. Ces déclarations sont cohérentes avec celles portant sur leur comportement effectif. En dehors du vote, qui reste la pratique politique la mieux partagée du fait du scrutin présidentiel auquel ils participent massivement, les jeunes s’expriment peu dans l’espace public. Toutefois, l’enquête montre que ne pas se retrouver dans les formes traditionnelles de l’engagement politique partisan et syndical ne signifie pas pour autant se replier sur soi. Un jeune sur deux déclare avoir récemment soutenu une cause en signant une pétition, et la même proportion déclare avoir adopté une posture d’aide notamment dans un cadre associatif. De surcroît, et c’est un résultat surprenant au regard de ce qui est souvent dit de la méfiance et du rejet des partis et des syndicats par les jeunes, la majorité estime manquer d’informations sur la manière de s’engager dans ce type d’organisations. Aujourd’hui largement en retrait, ils n’en estiment pas moins qu’elles ont un rôle à jouer dans le renouvellement démocratique. Un résultat qui met en lumière le rôle joué par la méconnaissance et l’incompréhension dans le désengagement citoyen.En quoi illustrent-ils ou enrichissent-ils la thèse de La démocratie de l’abstention ?
Céline Braconnier : L’enquête éclaire la place ambivalente du vote dans notre démocratie. Il demeure la forme la plus courante et donc la plus égalitaire de participation civique, loin devant toutes les autres. Ces jeunes qui nous disent majoritairement ne pas s’intéresser à la politique continuent en effet massivement de faire entendre leur voix à l’occasion du scrutin présidentiel : plus de 8 sur 10 se sont rendus aux urnes en 2012. Certes, ils se démobilisent dès que l’intensité de la campagne faiblit : en 2008, moins d’un jeune inscrit sur deux a participé à l’élection des conseillers municipaux. En même temps, le sondage montre l’attractivité du vote pour ceux qui sont empêchés de l’exercer : un tiers des mineurs aimerait pouvoir voter à 16 ans. Surtout, trois quarts des enquêtés estiment qu’une simplification de la démarche d’inscription sur les listes électorales pourrait améliorer le fonctionnement démocratique. Preuve s’il en est et de l’attachement à la pratique électorale qui perdure malgré une participation de plus en plus intermittente, et de l’investissement trop important que requiert cette étape préalable au vote pour une grande majorité de citoyens. À ma connaissance, c’est la première fois qu’une enquête de cette nature met aussi clairement en évidence la difficulté, éprouvée par la génération qui a bénéficié de l’inscription d’office à 18 ans, de se réinscrire après un déménagement. Parce que les jeunes sont plus mobiles, ils sont particulièrement concernés et gênés par cette procédure.Selon vous, quelles pistes seraient à explorer, pour favoriser l’engagement des jeunes ?
Céline Braconnier : Il faut d’abord se résoudre à simplifier la démarche d’inscription électorale, voire à la rendre automatique pour tous et tout au long de la vie, ce qui reviendrait à en supprimer le coût pour les citoyens. Mais je suis également particulièrement sensible à la place que ces jeunes voudraient voir confier à l’école dans l’amélioration du fonctionnement démocratique. Ils sont les mieux placés pour nous dire qu’elle ne les a pas aidés à se repérer dans l’espace politique, et qu’ils le regrettent. C’est une manière de dire qu’il leur manque des clés de compréhension et que la télévision, qui constitue encore à ce jour et pour la grande majorité d’entre eux le vecteur essentiel d’information, n’est pas suffisante. Cet appel à une forme de socialisation politique par l’école républicaine doit être entendu. Il revient à la République d’engager la lutte contre les très fortes inégalités politiques qui se transmettent aujourd’hui en héritage via les familles sans pouvoir être neutralisées ni compensées. Et l’école, comme ensuite l’université, sont les mieux placées pour alimenter au profit du plus grand nombre le terreau de l’engagement citoyen en offrant des clés de compréhension d’un monde aujourd’hui largement ésotérique, et la valorisation des premières formes qu’elle peut prendre. Un intérêt général pour la politique coexiste avec une absence d’engagement, d’investissement dans les lieux traditionnels de la politique. Les jeunes et l'engagement politique... par AfevPartager cet article