Sociologue à l’EHESS, membre de l’équipe de recherche sur les inégalités sociales du Centre Maurice Halbwachs (CNRS/EHESS/ENS), auteur de "Devenir adulte : sociologie comparée de la jeunesse en Europe" (PUF, 2008) et personnalité référente pour l’enquête Génération Quoi ?
En quoi la génération actuelle vous semble t-elle engagée ?
Le fait qu’une bonne moitié de jeunes se déclare intéressée par la politique me semble plutôt positif. Je ne trouve pas ce chiffre de 55 % si inquiétant. Pour Anne Muxel et d’autres chercheurs anglo-saxons, entre 18 et 25 ans environ, il y a une sorte de « moratoire politique », une période avant l’installation réelle dans la vie active où l’intérêt pour la chose politique met du temps à se stabiliser. L’autre point qui m’a frappée est le crédit accordé aux réseaux sociaux et aux sources alternatives d’accès à l’information. C’est l’avènement d’une génération presque plus critique, plus « démocratique » que la précédente vis-à-vis de la participation politique et du contrôle des informations.
Comment analysez vous leur défiance à l’égard des partis politiques ?
Cette défiance, que l’on associe souvent à une démarche de retrait, correspond selon moi à une génération qui défend au contraire plus fermement la démocratie, plus impliquée notamment localement, dans des gestes conçus comme politiques au quotidien, dans leurs interactions au jour le jour... On peut y lire une réappropriation plus personnelle, plus intime des enjeux sociétaux, environnementaux... Plus nette chez les diplômés, cette attitude n’en est pas moins très visible sur la jeune génération d’aujourd’hui. Dans les entretiens qualitatifs que je réalise, je vois que de manière transnationale, certains « actes » sont de plus en plus souvent considérés par les jeunes comme politiques, alors qu’ils l’étaient moins auparavant : multiplication des sources d’information (y compris alternatives), consommation équitable, dons à des personnes ou des associations, etc. Un moyen, dans tous les cas, de reprendre pied, de retrouver une emprise sur une société, sur un environnement dont ils sentent que les responsables politiques, la sphère médiatique les tiennent écartés. C’est une réelle réappropriation du politique qui, sans exclure les institutions classiques – comme le vote, le parti -, enrichit la palette des formes d’action envisageables. Un tiers des jeunes qui estiment « politique » de consommer des produits issus du commerce équitable, et/ou faire des dons, ce n’est pas rien – et cette tendance est encore plus marquée chez les 15-17 ans... À ce titre, migrer, arrêter ses études, s’orienter autrement, participent de la même démarche. À défaut de changer les vies en faisant aveuglément confiance à un personnel politique qui nous semble éloigné de leurs enjeux personnels, on change sa vie.
Les jeunes sont-ils de droite ou de gauche ?
Comme l’a récemment démontré un article du politologue Vincent Tiberj : il y a une montée des non-alignés, de jeunes se mettant à distance du processus démocratique traditionnel. Des jeunes des années 70 à ceux d’aujourd’hui, on assiste à un effet de cohorte croissant : après la droitisation des baby-boomers, les cohortes se placent de plus en plus volontiers à gauche au fil du temps, avec un non-alignement toujours plus marqué. Aujourd’hui, la jeune génération – en particulier diplômée - se trouve, de manière transnationale, au paroxysme de cette évolution : défiance vive à l’égard des politiques et des médias traditionnels – mis dans le même panier -, usage suraigu des médias alternatifs, et désir de reprendre les rênes de sa vie. D’ailleurs, comme indiqué dans le sondage, pour ces générations, même l’idée d’un vote rendu obligatoire ne recueille pas une grande adhésion : comme tout ce qui est obligatoire, puisqu’ils veulent être acteurs conscients. Un attachement à la pratique électorale qui perdure malgré une participation de plus en plus intermittente.
Les jeunes et l'engagement politique. Interview de Cécile Van de Velde
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