Camille Peugny : « Les jeunes sont à la pointe de nouvelles formes d'actions politique non conventionnelles »

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Sociologue et maître de conférences à l’université Paris-VIII, auteur en 2013 de "Le destin au berceau. Inégalités et reproduction sociale" (Editions du Seuil), et personnalité référente avec Cécile Van de Velde pour l’enquête Génération Quoi ?

 

Diriez-vous que les jeunes se désintéressent de la politique ?

Camille Peugny : Quand on découvre que 55 % des jeunes considèrent la politique comme « importante » ou « très importante », on se dit que ce chiffre n’est pas aussi faible qu’on aurait pu le craindre. D’abord parce qu'il n’est pas sensiblement plus faible que ce qu’on peut observer pour les autres classes d’âge, dans d’autres enquêtes, et ensuite parce que l’ordre dans lequel les items sont proposés n’est pas anodin. En passant de sujets qui font consensus (la santé, la famille) à la politique ou la religion, on change totalement d’échelle. Autre chiffre, près d’un jeune homme sur cinq estime que la politique est très importante, tout comme près d’un jeune de moins de 17 ans sur cinq. Les jeunes femmes semblent légèrement en retrait (seules 9 % d’entre elles estiment que la politique est très importante), mais ce résultat confirme ce qu’ont montré les politistes depuis longtemps.

Et concernant les actes qu’ils considèrent comme politiques ?

Camille Peugny : Certes, les jeunes interrogés mentionnent d’abord et le plus souvent les actes politiques « traditionnels », comme voter ou adhérer à un parti politique. Mais le principal résultat ici me semble la montée de l’action politique « non conventionnelle », qui concerne certes l’ensemble de la population, mais dont les jeunes constituent véritablement le fer de lance. Entre cinq et sept jeunes sur dix selon les items considèrent que la grève, les campagnes sur les réseaux sociaux, la signature de pétitions, l’investissement associatif ou encore le port de badge ou d’autocollants constituent des actes politiques. Et du côté de la réalisation de l’acte, les résultats ne sont pas minces. 56 % des jeunes mentionnent un investissement associatif, la moitié d’entre eux a déjà signé une pétition, près de trois sur dix déclarent avoir déjà participé à une manifestation, et 20 % d’entre eux ont déjà participé à une grève, chiffre assez élevé pour des jeunes en étude ou entrés récemment dans le monde du travail. Ces chiffres montrent donc que les jeunes ne sont pas si éloignés que cela de la politique. Simplement, ils sont à la pointe de nouvelles formes d’actions qui essaiment progressivement dans le reste de la population.

Que pensez-vous de leur réaction aux propositions émises pour améliorer le fonctionnement de la démocratie ?

Camille Peugny : Je remarque particulièrement la forte adhésion des jeunes à un strict non cumul des mandats pour les élus et à des politiques de discrimination positive visant à ménager des quotas de femmes, de jeunes ou pour les minorités dans les fonctions électives. Les trois-quarts des jeunes interrogés se montrent favorables à de telles mesures, ce qui est réellement massif. Ceci étant dit, je ne suis pas certain que si les jeunes élus étaient plus nombreux (ce qui serait souhaitable d’un point de vue symbolique, évidemment), le rapport à la politique des jeunes évoluerait sensiblement. Au-delà de la question de la représentativité, il y a surtout celle du discours tenu et des politiques publiques qui sont conduites. À chaque alternance politique, de jeunes députés font leur entrée à l’Assemblée nationale, portés par des vagues roses ou bleues. On ne peut pas dire qu’ils se sont fortement saisi des questions de jeunesse et, d’une manière générale, je ne suis pas certain qu’il faille nécessairement être jeune pour agir pour la jeunesse, femme pour réduire les inégalités entre les hommes et les femmes, etc. Face à l’absence de politiques visant à clairement améliorer la place des jeunes dans des sociétés vieillissantes, c’est le sentiment d’une indifférenciation politique qui se fait de plus en plus fréquent. Ici, 29 % des jeunes déclarent ne pas parvenir à se positionner sur un axe gauche-droite, et ce chiffre s’élève à 38 % pour les 25-30 ans. Au-delà, sur le plan politique, nous avons aussi deux jeunesses. D’une part, des jeunes diplômés, intéressés par la politique mais insatisfaits par l’offre partisane existante et se reconnaissant davantage dans des formes d’actions non conventionnelles et mouvantes. De l’autre, souvent, des jeunes non diplômés, précarisés, ruraux ou périurbains et dont l’insatisfaction peut déboucher sur des attitudes autoritaires, à l’égard de l’immigration ou des questions de société.

Crédit photo Fondation Jean Jaures-Pescheux

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