Lutter contre les inégalités scolaires exige que les parents issus de milieux défavorisés renouent avec les enseignants de leurs enfants et soient reconnues au sein de l'école. C'est ce que démontre Bruno Masurel, responsable au sein du réseau Ecole d’ATD Quart Monde, qui depuis plus de quinze ans, travaille sur les relations du monde de l’éducation avec les familles en situation d’exclusion.
Tout le monde s’accorde pour dire - voir la circulaire du 15 octobre 2013 - que l’école ne peut pas faire réussir tous les enfants sans associer les parents les plus éloignés de l’école. Et pourquoi pas ?
Parce qu’un enfant n’arrive pas à l’école avec la tête vide. Ses savoirs ne se construisent pas simplement à partir de savoirs scolaires académiques. Le processus d’apprentissage est un tout cohérent. Chaque enfant a une histoire familiale et des expériences qui l’ont construit… Il ne peut pas donner du sens à ce qu’il apprend à l’école s’il a honte de ses racines et s’il voit que ses parents avec leur origine sociale, leurs expériences et leurs propres savoirs ne sont pas respectés par l’institution scolaire. L’école doit respecter la culture de ces milieux populaires et proposer aux parents de participer d’une manière positive. C’est de ce respect, de cette confiance accordée aux parents que les enfants vont pouvoir apprendre. Si l'école éduque les enfants à l’insu de leurs parents, les inégalités vont continuer de grimper.
Vous avez mené pendant cinq ans à Maurepas, un quartier populaire de Rennes, un projet visant à rapprocher de l’école des familles qui en sont les plus loin. En quoi a-t-il consisté ?
Ce projet a été mené autour de deux groupes scolaires du quartier de Maurepas. Il a d’abord consisté à faire se rencontrer des parents d’élèves pour qu’ils parlent entre eux de ce qu’ils attendent de l’école mais aussi pour qu’ils échangent sur leurs propres souvenirs d’école, leurs peurs, leurs difficultés. Ces parents aux trajectoires diverses, les uns connaissant des situations de misère en France, d’autres venant de l’étranger d’un pays où ils n’ont parfois jamais connu l’école, se sont découverts, suscitant du respect et des amitiés. Dans un second temps, les enseignants ont croisé leurs propres souvenirs d’école et raconté la façon dont ils s’y prennent pour associer les parents des enfants en difficulté dans leur classe. C’est à travers ces échanges, d’abord par groupes de pairs, puis entre enseignants et parents, que chacun se rend compte que si l’école est une évidence pour un enseignant, elle est une souffrance pour des parents qui y ont eux-mêmes vécu des histoires difficiles.
Quels sont les effets de ces échanges entre parents et enseignants ?
Ces échanges ont permis de faire bouger les représentations respectives des familles sur l’école et de l’école sur les familles. Beaucoup de parents ne rentrent pas dans l’école car ils ne se sentent pas autorisés à donner leurs points de vue. Ils ont peur que l’on se moque d’eux, peur de ne pas « bien faire ». S’ils sont convoqués ils vont tout de suite penser que l’école leur reproche de ne pas bien faire leur travail de parents. Et puis on va leur demander de faire confiance aux enseignants. Mais comment faire confiance à un monde si éloigné du sien et dans lequel ces parents ne se sentent pas respectés et où l’école est pour eux dans une seule logique d’assistance. Les parents ne peuvent pas trouver leur place s’ils sont infantilisés et considérés comme de « mauvais parents ». C’est toute la démarche que nous portons à ATD Quart Monde : les pauvres ne veulent pas être aidés ils veulent être utiles : que l’éducation et les savoirs se construisent aussi avec l’intelligence de leur milieu.
Comment mieux prendre en considération les parents ?
Il faut chercher ce que les familles peuvent apporter à l’école, et pas seulement leur expliquer le fonctionnement de l’école. L’école ne peut pas seule. A Maurepas, cela est passé notamment par des associations de quartiers et d’autres parents relais. Et une fois que les parents sont reconnus et respectés, l’effet sur les enfants est évident. Par exemple, lors d’un forum sur les métiers qui réunit souvent des parents ayant des professions bien reconnus, la principale d’un collège a convaincu de venir un père qui travaillait dans les abattoirs, un boulot particulièrement dur. Il a parlé de son métier devant les élèves. Le collège a même organisé une visite dans les abattoirs. Six mois après, son fils avait changé de comportement du fait que le collège avait reconnu le travail de son père, le considérant comme assez honorable pour qu’il en parle en classe.
Comment faire pour que ces initiatives se démultiplient ?
Pour essaimer au-delà de Maurepas, nous avons lancé depuis 2010 un chantier intitulé « En associant leurs parents tous les enfants peuvent réussir » avec vingt et un quartiers en France, de Brest à Tourcoing en passant par Agen ou Tarbes, et qui permet de confronter diverses initiatives. Mais changer les représentations des enseignants sur les parents les plus éloignés de l’école est un travail de long terme. Cela passe par la formation. C’est pourquoi nous avons développé des outils qui sont diffusés dans les ESPE, dans les masters et dans la formation des formateurs, et même pour les associations de parents d’élèves et les professionnels de l’éducation en dehors de l’école. Ce sont par exemple des vidéos qui croisent des témoignages de parents et d’enseignants sur les souvenirs d’école ou sur leurs peurs réciproques, et sur la façon de développer une véritable éducation partagée.
Les « espaces parents » dans les écoles ou les collèges sont souvent cités comme de « bonnes pratiques » pour renouer le dialogue. Qu’en pensez-vous ?
Certains territoires s’en sont bien emparés comme par exemple à Lyon où il existe des espaces parents dans toutes les écoles élémentaires. Il reste à les faire vivre. Et notamment à faire en sorte ces espaces ne soient pas accaparés par quelques parents qui ont déjà les codes de l’école et qui souvent sont dans une injonction aux enseignants, croyant qu’ils savent mieux enseigner. Ce sont ces parents là qui font peur aux autres parents les plus démunis. C’est pourquoi toute la communauté doit bouger, les enseignants, les professionnels de l’éducation autour de l’école et aussi les associations de parents d’élèves, pour que l’éducation et les savoirs se construisent avec l’intelligence de tous. Propos recueillis par Emmanuel Vaillant
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