Benjamin Moignard, directeur de l’Observatoire Universitaire International Education et Prévention (Université Paris-Est-Créteil), explique pourquoi l’ambiance dans un établissement est aussi décisive que la qualité des apprentissages.
Le décrochage scolaire n’est pas une fatalité et les outils pour agir existent. Trop souvent, le décrochage a été renvoyé à une singularité personnelle des élèves ou à une défaillance familiale. Pourtant, la recherche a largement démontré, et à de multiples reprises, le poids des variables scolaires dans la prévention du décrochage en particulier. Cela ne veut pas dire que certaines situations extérieures à l’école ne sont pas elles aussi propices au décrochage. Mais ce sont sur les variables scolaires que les équipes peuvent agir, et cette réalité a tendance à être minorée en France. Parmi ces variables scolaires, le climat scolaire occupe une place à part. C’est une variable parmi les plus significatives statistiquement pour expliquer le décrochage. Travailler sur le climat scolaire peut être un moyen de lutte efficace pour prévenir le décrochage ou pour favoriser les raccrochages. Le climat scolaire renvoie à la perception qu’ont les élèves, les équipes éducatives et pédagogiques, les parents, de leur expérience de la vie et du travail dans l’école. Il reflète les normes, les buts, les valeurs, les relations interpersonnelles, les pratiques d’enseignement, d’apprentissage, de management et la structure organisationnelle inclus dans la vie de l’école. On ne compte plus les recherches, en particulier nord-américaines, qui pointent les effets du climat scolaire sur les apprentissages, sur la sécurité dans les écoles, ou la prévention des conduites à risque. Ainsi, la relation entre un climat scolaire positif et la réussite scolaire des élèves a bien été établie internationalement, et une bonne ambiance dans l’établissement sera un élément déterminant de développement et d’adhésion aux activités d’apprentissages. De la même manière, un climat scolaire positif apparaît comme un facteur de protection essentiel pour les élèves et les personnels, en particulier dans les établissements implantés dans les quartiers populaires. Très concrètement, travailler sur le climat scolaire peut reposer sur quelques entrées relativement simples que de nombreux établissements investissent déjà. C’est par exemple mobiliser des équipes qui puissent travailler collectivement autour de quelques projets communs : les modalités de prises en charge des élèves en difficulté, une réflexion collective sur les usages des bâtiments, les espaces de paroles ouverts et partagés entre les élèves et les personnels, les modalités d’accueil des familles ou des nouveaux collègues... Ce peut être aussi travailler avec les élèves à une bonne compréhension du règlement intérieur et des droits et devoirs qu’il impose, à la cohérence des sanctions et à leur dimension éducative, à la justice scolaire. On devine rapidement les réticences qui pourraient accompagner ces quelques entrées : « Mais l’École n’a pas que ça à faire !». Réserves légitimes et au combien prévisibles : elles s’ancrent dans une vision traditionnelle de l’école française qui distingue la classe de l’établissement, qui divise les rôles sans toujours imaginer les rapprochements, qui attend un élève idéal dans une école à l’image d’Epinal. L’école du XXIème siècle ne pourra sans doute pas se satisfaire d’une conception qui prévalait quand elle assurait la simple reproduction des élites. Promouvoir la réussite de tous les élèves en luttant contre le décrochage scolaire est un enjeu démocratique. Un meilleur climat dans les établissements scolaires, une condition à une école plus juste. Propos recueillis par Eunice Mangado-LunettaPartager cet article