Considéré comme moins « noble » que les filières générales, le lycée professionnel a pourtant largement évolué ces dernières années, rappelle le sociologue Aziz Jellab. Des transformations qui rendent d’autant plus nécessaires l’accompagnement des jeunes les plus fragiles.
A l’heure où la thématique de « l’égalité des chances » est à l’ordre du jour, au moment où plus que jamais la question du « mérite » est formulée dans le débat public, la situation des élèves de lycée professionnel mérite que l’on s’y attarde. C’est que l’image qui s’impose d’emblée lorsqu’on parle du LP est celle de sa relégation et avec elle, celle de la disqualification de son public.Les diplômes nobles et les autres
Les élèves qui entrent au LP sont majoritairement issus de milieux populaires ; ils ont rarement choisi leur orientation et le sentiment largement répandu lorsqu’on les interroge est celui d’une chute, doublé d’un ressentiment. Ce sentiment ne tient pas seulement aux procédures d’orientation qui font la part belle aux notes scolaires au détriment d’autres compétences tout aussi importantes (être capable de chercher et de trouver un stage est une compétence tout aussi légitime, qu’être capable de réussir un exercice de mathématiques, et savoir jouer d’un instrument de musique n’est pas plus facile que de lire et de résumer un livre). Il procède aussi de la manière dont les professionnels de l’école – enseignants, personnels d’éducation et d’orientation – et d’autres acteurs sociaux conçoivent le LP. Ainsi, la hiérarchie scolaire qui oppose les diplômes « nobles » (le baccalauréat « S » en est l’emblème) aux diplômes moins légitimes (le CAP par exemple) repose sur une idée reçue qui a pour fondement la division sociale du travail : les diplômes professionnels sanctionnent une « intelligence de la main », un savoir « manuel ».Avec la réforme, des risques de décrochage qui s’accroissent
L’élève entrant au LP découvre en réalité que sa formation continuera à être scolaire et que les savoirs technologiques et professionnels (qui rappelons-le, nécessitent un travail intellectuel) n’occupent qu’une partie de l’emploi du temps, partie appelée à être réduite avec la réforme du baccalauréat professionnel en 3 ans. Or la scolarisation des savoirs en LP a deux incidences majeures : elle valorise la voie professionnelle en mettant au « même niveau » le LP et le lycée général quant aux nombre d’années d’études pour obtenir le baccalauréat ; elle augmente le risque d’abandon chez des élèves réfractaires aux savoirs scolaires théoriques. Ainsi, le risque de « décrochage » (expression floue car elle recouvre différentes réalités et induit un caractère actif ou volontaire de l’abandon de scolarité) et de ruptures de scolarité s’accroît, on le sait, avec l’allongement de la durée de scolarisation. Le LP est le théâtre de nombreuses innovations pédagogiques mais qui ne peuvent suffire, si elles ne sont pas en quelque sorte soutenues par l’institution scolaire et par des actions extra-scolaires, telles que celles que peuvent mettre en œuvre les bénévoles de l’Afev. Ces actions d’accompagnement et d’aide (qui ne sont pas que scolaires) impliquent la prise en compte des évolutions affectant aujourd’hui le LP et ses missions. Le LP cesse d’être l’école des ouvriers : il accueille davantage d’élèves dans les spécialités tertiaires que dans les spécialités industrielles. Cela va de pair avec la tertiarisation des emplois, qui a pour effet de brouiller la visibilité des métiers et les identités professionnelles convoitées. Par ailleurs, les savoirs qu’on y enseigne sont calqués sur une logique de compétences définie à partir d’une approche rationnelle où l’élève est évalué via des savoirs, des savoir-faire, un savoir-être sans compter les savoirs associés. Cela induit un affaiblissement de la culture du métier au profit d’une culture technique en phase avec les besoins des employeurs, et sans doute avec l’affaiblissement des collectifs professionnels ouvriers. Il s’ensuit, et c’est là aussi une autre évolution, que les pratiques pédagogiques en LP connaissent des transformations : le travail, bien que soucieux de la socialisation des élèves, repose sur des didactiques de l’enseignement qui sont éloignées de l’éducation populaire, alors que celle-ci a longtemps socialisé les PLP et les manières d’enseigner (on cherchait à « former l’homme, le futur travailleur et le citoyen »). Enfin, le chômage qui frappe surtout les ouvriers et les employés ne manque pas de déstabiliser l’image du LP.La solidarité, une valeur qui parle aux jeunes de LP
De fait, la valorisation de la voie professionnelle se heurte à un paradoxe : l’élévation des niveaux de qualification ne se traduit pas par l’amélioration du sort professionnel des nouvelles générations de diplômés. Dans ce contexte, l’action de repérage, d’accompagnement des élèves, de l’aide à leur adaptation et à leur émancipation n’en devient que plus nécessaire, d’autant plus que le LP connaît quelques dysfonctionnements. Ainsi en est-il de l’absentéisme qui avoisine les 15 % (contre 3 % au collège et 5 % au LEGT ) ; par ailleurs, la moitié des jeunes sortant du système scolaire sans qualification étaient scolarisés au LP. Les étudiants bénévoles de l’Afev occupent une position favorable pour aider les élèves de LP : ils sont étudiants et en ce sens, ils partagent une proximité avec les élèves ; ils ont la possibilité de « voyager » entre plusieurs mondes, ce qui facilite la médiation (par exemple entre LP et parents, entre le jeune et différents cadres de socialisation, qu’il s’agisse d’une médiathèque ou d’une association sportive) ; ils peuvent servir d’appui sans devenir des modèles ; ils sont dans une dynamique solidaire, ce qui permet de rappeler des valeurs auxquelles les élèves de LP sont très sensibles (on apprend à aider les autres et à partager). L’Afev, en tant qu’association d’éducation populaire, peut aider le jeune à donner du sens à sa scolarité et aux savoirs. Le fait que les étudiants de l’Afev soient mobiles aide les jeunes à le devenir, à sortir d’un enfermement symbolique, à ne plus s’autocensurer. L’engagement des volontaires est un acte citoyen qui induit l’importance du partage et le souci de lutter contre les inégalités. En reprenant le propos de Jean-Paul Sartre, l’engagement apparaît comme « acte ou attitude de l’intellectuel, [...] qui prenant conscience de son appartenance à la société et au monde de son temps, renonce à une position de simple spectateur et met sa pensée au service d’une cause ».Aziz Jellab est sociologue et professeur à l’Université Lille 3
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