Mardi 19 janvier 2021, un groupe d’associations regroupées au sein du Collectif Mentorat avait organisé les premières Assises consacrées au mentorat en France. Réunissant 700 participants autour d’intervenants d’importance et d’ateliers thématiques, elles ont mis en lumière la nécessité de poursuivre aujourd’hui la mission de ce Collectif : « fédérer l’écosystème du mentorat en France ». Retour sur les prises de parole de quelques acteurs de premier plan, lors des séances plénières.
Afev, Article 1, Chemins d’Avenirs, ESA, Institut Télémaque, NQT, Proxité, Socrate… Depuis septembre 2019, ces huit associations ont décidé de mutualiser leur énergie et leurs efforts pour développer, au sein d’un collectif (structuré en association loi 1901 depuis décembre dernier), le mentorat dans l’Hexagone. Une ambition rappelée en introduction de ces Assises par Christophe Paris, Président du Collectif et Directeur général de l’Afev : « Les contours et la définition du mentorat en France se consolident progressivement, mais ce qui est sûr, c’est qu’il recouvre déjà une réalité d’action. Il est aujourd’hui un fait majeur des actions éducatives, sociales et d’insertion » dans notre pays. Selon lui, « l’action a anticipé le terme, la parole, et il vaut toujours mieux cela que l’inverse. »
Généraliser le mentorat
Cette réalité, dans les faits, concerne « 30 000 mentorats aujourd’hui, soit 30 000 mentors bénévoles et 30 000 jeunes mentorés, qui se retrouvent généralement chaque semaine et, en back office, des centaines de professionnels qui développent, coordonnent et organisent ces actions. » A la différence du coaching, « descendant et limité dans le temps », le mentorat « est une relation d’égal à égal, transversale et qui s’inscrit dans la durée. » Soit, pour Christophe Paris, un dispositif « simple, efficace et irremplaçable, (…), un levier qui permet de consolider des parcours en apportant confiance en soi, ouverture sociale, capital culturel et réseaux. » Et, ainsi, de pallier les inégalités de parcours que subissent de nombreux jeunes, « qu’ils viennent d’un quartier populaire de Seine-Saint-Denis ou d’un territoire rural du côté de Guéret. » Des actions, surtout, particulièrement utiles dans « la période que nous vivons, de crise sanitaire, qui creuse les inégalités sociales, éducatives, et qui isole. » Ainsi, le mentorat exige aujourd’hui « une action volontariste des pouvoirs publics et des acteurs privés, parce que nous avons les outils pour entreprendre sa généralisation, qu’il devienne un vrai droit pour tous les enfants, et les jeunes qui en ont besoin. »
Un sentiment partagé, en plénière de conclusion, par deux membres des organismes fondateurs du Collectif Mentorat : Eunice Mangado-Lunetta, Directrice des programmes de l’Afev et Benjamin Blavier, co-Fondateur d’Article 1. Ceux-ci, parce que « l’impact social du mentorat est aujourd’hui prouvé », ont précisé les ambitions de cette structure : « Un premier palier de 100 000 mentorés, soit le nombre de jeunes qui chaque année sortent du système éducatif sans diplôme (un chiffre malheureusement amené à croître, en France et dans le Monde, du fait de la crise éducative et sanitaire actuelle). » Pour la première, « il n’est pas illusoire aujourd’hui d’envisager un jour prochain un droit au mentorat » pour les publics concernés, et tous les acteurs intéressés peuvent d’ores et déjà venir « rejoindre la dynamique initiée par le Collectif Mentorat » - accédant ainsi à des outils pédagogiques, conseils professionnels, etc. Il a aussi été question de la création d’un label « qui pourrait réserver un accès prioritaire aux financements publics et privés. » Pour Benjamin Blavier, « tous les enseignements tirés de la crise sanitaire nécessitent désormais d’aller un cran plus loin » - ce qui a motivé la décision du Collectif de « mettre en commun, à destination de tous, une plateforme de mise en relation et d’administration des initiatives de mentorat. »
Des ministres mobilisées
Point d’orgue de la plénière introductive, les allocutions de deux Ministres ont démontré l’implication des pouvoirs publics dans les réflexions autour du mentorat. Dans un premier temps, la Secrétaire d’Etat à la jeunesse et à l’engagement Sarah El Haïry a indiqué un objectif clair, en cette journée « que l’on doit marquer d’une pierre blanche » : « Un passage à l’échelle. Parce que le mentorat est une chance, pour nos territoires et pour nos jeunesses : il fait du bien à notre pays, et doit se diffuser encore plus largement. » Pour elle, il y a « une convergence d’énergies positives, de volontés de participer et de construire », et l’Etat « a besoin d’interlocuteurs [comme le Collectif Mentorat] qui sont forts, capables de fédérer les acteurs, qui réunissent les énergies plutôt que de les disperser. » La Secrétaire d’Etat en a aussi profité pour annoncer, « dans les semaines à venir, une initiative politiquement forte, avec comme premier objectif de coordonner l’action publique, et comme deuxième objectif de donner une meilleure visibilité au mentorat. » En outre, plusieurs Ministères, membres du « collectif gouvernemental », vont joindre leur action pour « développer des actions d’appui au mentorat. »
De son côté, la Ministre déléguée à la ville Nadia Hai a rappelé, en citant Fénelon (« La jeunesse ressent un plaisir incroyable lorsqu’on commence à se lier à elle ») que « le mentorat fédère autour de lui, au profit de la jeunesse. (…) Nous savons la force de votre engagement, et vous nous trouverez toujours à vos côtés pour permettre cette émancipation, développer le potentiel de chaque jeune. C’est notre ambition commune, c’est celle du gouvernement. » Ainsi, « en visant l’objectif de réunir bientôt 200 000 mentors, vous avez raison de voir loin, d’oser voir grand, pour tous ces enfants, ces adolescents, ces jeunes adultes auxquels vous donnez du temps et de la considération. » Concernant l’action gouvernementale en période de confinement, « nous avons engagé des moyens massifs pour réduire la fracture numérique, et assurer une continuité pédagogique la plus normale possible malgré de fortes contraintes. » Elle a ensuite détaillé la liste des actions menées sur ce terrain, dont les dispositifs « Mentorat d’urgence » et « Réussite virale », avant d’indiquer que « cette période a montré, plus que jamais, l’efficacité du mentorat comme solution pragmatique, humaine et volontariste face aux inégalités éducatives. »
En fin d’Assises, les pouvoirs publics sont intervenus à nouveau, en la personne de la Ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Elisabeth Moreno, et de Thibaut Guilluy, Haut-Commissaire à l’emploi et à l’engagement des entreprises au Ministère du Travail. Ce dernier a présenté le Plan Un jeune, une solution , indiquant que « le mentorat constitue un élément essentiel pour aider chaque jeune à arriver à une égalité d’opportunités et de destin ! » Il revenait enfin à Elisabeth Moreno de s’adresser, en clôture des débats, à tous les participants. Ce qu’elle a fait en parlant de son expérience personnelle dans le domaine du mentorat en entreprise, en affirmant que « le mentorat permet de croire à l’incroyable, et de passer de l’impossible au possible », et en félicitant avec chaleur les mentors, en tant qu’acteurs de première ligne des actions menées par les associations : « Ce que vous faites pour les jeunes, le temps que vous leur consacrez, est fondamental, vous ouvrez un peu plus le champ des possibles, élargissez leurs horizons. » Pour elle, le mentorat permet en effet bien sûr aux mentorés de retrouver notamment confiance en eux, mais aussi aux mentors eux-mêmes de « récolter souvent davantage que ce qu’ils ont semé. » Ainsi, aujourd’hui, « nous devons passer à la vitesse supérieure. » Ce à quoi elle s’emploie activement depuis sa prise de fonction.
Etat des lieux
Concernant l’actualité du mentorat en France, et particulièrement en période de crise, deux intervenants ont également pris la parole au fil des plénières. D’abord Laura Chupin, Responsable partenariats et développement chez Chemins d’Avenirs, qui est revenue sur « l’enrichissement mutuel qu’apport le mentorat. » Il s’agit en effet d’un processus « à double sens, et il serait faux de croire que seule la personne accompagnée s’y retrouve. » Quel que soit le nom que l’on donne à l’action, il s’agit avant tout « d’une relation interpersonnelle de soutien, d’une relation bénévole qui s’inscrit en profondeur sur le moyen et le long terme, et est basée sur l’apprentissage mutuel, au sein d’une structure professionnelle encadrante. » Une relation, enfin, qui permet de part et d’autre « le développement de soft skills, les compétences du XXIème siècle indispensables pour s’épanouir, intégrer le marché du travail et relever les défis sociétaux. » Et comme « tous les acteurs du mentorat partagent des ambitions communes » et se posent parfois les mêmes questions, il s’agit désormais « de ne plus fonctionner en silos, et de créer des synergies. »
« Une niche sensorielle et affective pour aider la jeunesse, surtout en temps de crise. » C’est cette définition personnelle qu’a donné du mentorat Boris Cyrulnik, neuropsychiatre et Directeur d’enseignement à l’Université de Toulon. En effet, « un être humain a besoin d’un autre pour devenir lui-même. » Il a ainsi détaillé les étapes successives du développement d’un individu, depuis sa naissance, avec toujours un référent pour l’aider à se construire, et ce dans une vision de plus en plus "ouverte" à l’égard du Monde : mère, père, puis « l’écologie lointaine : récits de la famille, du quartier, récits culturels... » Dans la période de confinements actuelle, « il faut analyser les facteurs de protection acquis avant le confinement », et travailler sur ces éléments pour parvenir à aider un enfant ou un jeune aussi bien pendant qu’au sortir de ce dernier. Ainsi, concernant le décrochage scolaire des adolescents dans la séquence actuelle, il faudra vite, pour que le mentorat redevienne efficace, « réorganiser une niche affective, scolaire, culturelle pour que les adolescents puissent rattraper le handicap que le virus est en train de leur flanquer » indirectement. Combattre, en particulier, les récits racistes, essentialistes ou dépréciatifs, qui peuvent « freiner leur développement. »
Europe et international
Dans une volonté d’adopter une perspective moins franco-française, les organisateurs des Assises du mentorat avaient fait appel à t
rois intervenantes : les Députées européennes Ilana Cicurel et Sylvie Guillaume, ainsi que Véronique Church-Duplessis, Directrice "recherche et évaluation" de Mentor Canada. La première a déclaré : « Le mentorat a deux rôles ; celui d’aiguiller, d’évaluer nos systèmes éducatifs, et celui d’être une solution. Il est la clé de ce problème politique qui est le nôtre. » En effet, « dans les années 50, 30% des élèves des Grandes écoles émanaient d’un milieu populaire, contre 9% aujourd’hui. » Ces enjeux sont « ceux de notre temps », et les résoudre « demandera du temps, et des réformes de fond », mais aussi un développement réel du mentorat, « un instrument qui a des effets durables immédiatement, à court terme, sur les jeunes accompagnés. » Au niveau européen, si l’Union « n’a pas de compétence au sens plein du terme, nous avons des chantiers communs à engager – le sujet de l’Education est en train de monter en puissance. » Il s’agit donc de « faire en sorte qu’à chaque fois, le mentorat soit inscrit dans les différentes dynamiques en place ou qui sont en train de se mettre en place » : Pacte sur les compétences, construction de l’Espace européen de l’Education, dispositif Erasmus, Fonds social européen… Pour elle, de manière générale, « il faut se tourner vers les mentors, en poussant la reconnaissance systématique, dans les parcours universitaires, des compétences acquises dans le cadre du mentorat, et en réfléchissant à une certification des soft skills à l’échelle européenne (…) ainsi qu’à une labellisation des entreprises. »
Pour Sylvie Guillaume, « le mentorat - surtout aujourd’hui, dans un contexte national, international et européen très particulier et préoccupant -, (…) est un vecteur parmi les plus éloquents de la lutte contre les inégalités. Il constitue une dynamique puissante de lutte contre les discriminations. » Par conséquent, il doit tout naturellement « s’inscrire dans le projet européen. » Ainsi, « le mentorat doit entrer et s’installer durablement dans le patrimoine européen. » Pour ce faire, il s’agit de « procéder comme ceux qui nous ont précédé ont procédé avec le principe Erasmus, soit avec les ingrédients suivants : la conviction que le sujet est bon et se fonde dans le projet européen ; une littérature et des pratiques fortement documentées ; des acteurs associatifs motivés, des professionnels aguerris, expérimentés et qui savent s’organiser en réseau au niveau européen ; une mobilisation très forte des élus et des eurodéputés ; et, enfin, de l’argent, par exemple par la mobilisation de fonds sociaux européens et l’organisation de projets pilotes. » Autant d’ingrédients qui lui paraissent, aujourd’hui, tellement réunis qu’il lui apparaît possible « de viser, bientôt, une Année européenne du Mentorat. »
Véronique Church-Duplessis, quant à elle, a indiqué que « le mentorat fait partie des politiques publiques depuis longtemps, au Canada. » Ce qui a évolué, comme récemment en France, « c’est l’idée de faire ensemble, de permettre à tous les acteurs de sortir de leurs silos. Nous avions besoin d’une plus grande coordination entre les actions : cela a donné Mentor Canada. » Fondé en juin 2019, cette « coalition de plusieurs organismes » travaille à développer, dans la lignée de Mentor Etats-Unis mais avec ses spécificités propres, le mentorat dans quatre domaines : « La recherche, la technologie, la sensibilisation du public et la création de réseaux entre les acteurs du secteur. Le tout en repérant les pratiques et les outils qui fonctionnent pour les mettre ensuite à l’échelle, afin que tout le secteur puisse en tirer profit. » Dans ce cadre, elle a vivement souligné « la plus-value du faire-ensemble. » Un constat amplement partagé par tous les participants à ces premières Assises…
François Perrin
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