Des politiques publiques qui ne traitent pas les jeunes comme un monde à part facilite l'entrée dans la vie adulte, explique Anne Stellinger, ex-directrice de l'Institut suédois d'études politiques européennes, à l'appui de l'exemple suédois.
Dans une enquête sur les politiques de jeunesse en Suède, vous parlez de « la jeunesse comme ressource ». Cette façon de la considérer est-elle propre à la Suède ?
Anna Stellinger : Très tôt, en Suède, nous avons choisi de parler de la jeunesse en ces termes, alors que dans d’autres pays, dont la France, on continue de la considérer soit comme une victime à protéger, soit comme une menace dont on souhaite se protéger. Notre projet de loi gouvernemental de 2004 juxtaposait dix-huit fois les deux termes : selon ce document, la jeunesse constitue une ressource « pour la société », « dans tous les champs d’action des municipalités », « pour la coopération internationale », « pour le développement de la société et la croissance », etc. Une société ne donnant pas à sa jeunesse suffisamment de liberté pour se développer passe à côté de quelque chose – et notamment, de ce qu’elle pourrait devenir demain.Quelle est la conséquence de ces deux principes ?
Anna Stellinger : Il faut permettre aux jeunes d’entrer en politique, dans les entreprises, dans les médias, de s’épanouir comme de jeunes pousses, se demander comment changer, faire évoluer les structures pour qu’ils s’épanouissent en leur sein. Ici, ces principes constituent un consensus partagé par tous les acteurs publics.Comment ceci s’illustre-t-il ?
Anna Stellinger : Nous avons par exemple des secrétaires d’Etat de moins de quarante ans, des parlementaires plus jeunes encore. Il n’est pas question ici de jeunisme, mais d’un souhait d’assurer la complémentarité entre générations ! Ce n’est pas aux jeunes de s’adapter aux partis politiques, mais l’inverse. D’ailleurs, un parti sans jeune, essentiellement composé d’hommes de 55 ans ou plus, paraîtrait ringard en Suède.Et au niveau des politiques publiques ?
Anna Stellinger : On ne traite pas les jeunes séparément : un volet « jeunesse » existe pour chaque dossier traité par chaque ministère, un Ministre en charge de la politique de jeunesse assurant la coordination. Chaque membre du gouvernement est co-responsable de l’intégralité de la politique de jeunesse, une intersectorialité qui fonctionne depuis des décennies.Pourquoi les problématiques de jeunesse ne sont-elles pas traitées « à part » ?
Anna Stellinger : Nous essayons de traiter les jeunes comme les autres citoyens. Pour autant, avec la crise actuelle, il n’est pas exclu que des programmes spécifiques les visant soient développés. Il faut éviter à tout prix une génération perdue, dont le prix à payer serait lourd et durable pour toute la collectivité, et permettre aux jeunes de devenir citoyens, contribuables dans de bonnes conditions.Quelles sont les conséquences de ces principes à l’oeuvre en Suède ?
Anna Stellinger : Ici, la jeunesse croit en son avenir, puisque la société l’accueille et que le fossé entre ses attentes et ce qu’elle reçoit est ténu. Le passage à la vie adulte est aussi moins compliqué, grâce notamment au prêt étudiant remboursable (mille euros par mois pendant une période allant jusqu’à six ans) qui assure aux jeunes une réelle autonomie vis-à-vis de leurs parents, tout en les responsabilisant dans leur cursus universitaire (le prêt est conditionné au passage des contrôles continus semestriels.) Mes parents en ont bénéficié, moi aussi. Et je ne serais sans aucun doute jamais parvenu à mon poste actuel sans ce système. Interview publiée sur le site de l'Observatoire de la jeunesse solidaire (avril 2012)Partager cet article