Le 26 mars prochain, à la Halle Pajol (Auberge de jeunesse Yves Robert), l'Afev organise la restitution des résultats 2019 de son Observatoire de l'engagement des jeunes (OEJ), consacré cette année au rapport des jeunes à l'Europe. Entretien avec Anne Macey, Déléguée générale de Confrontations Europe, qui interviendra lors de cet événement.
En cette année d'élections européennes, et avant publication des résultats de l'enquête de l'Observatoire de l'Engagement des Jeunes, quel diagnostic livrez-vous sur le rapport des jeunes à l'Europe ?
Premier élément de diagnostic : nos sociétés sont complètement fracturées, qu'il s'agisse de la France ou du Royaume-Uni – avec le Brexit -, et d'autres pays de l'Union européenne. Des pans entiers de la société – y compris les jeunes – ne se sentent pas parties prenantes, portent un regard critique sur la mondialisation, dont ils considèrent que l'Europe est le cheval de Troie. Les institutions européennes, quant à elles, sont observées avec une grande réserve : elles apparaissent très éloignées, et n'intéressent pas particulièrement un certain nombre de citoyens. Par ailleurs, pour les élections européennes de 2014, 75% des jeunes n'avaient pas voté – ce qui est énorme. Face à tous ces éléments, nous avons jugé déjà avec l'Afev, en 2014, qu'il valait le coup de repousser un peu nos ADN respectifs – l'action de terrain pour cette dernière, l'Europe pour ma structure – et de mobiliser des jeunes, principalement apprentis ou issus de lycées professionnels, qui ne s'intéressent pas a priori à l'Europe – voire la rejettent -, dans des quartiers majoritairement abstentionnistes voire extrémistes (droite comme gauche). D'abord, Sarcelles et Bondy, ensuite Lille, Roubaix, Tourcoing, ont été concernés par nos actions, entreprises avec une trentaine de partenaires, dont l'OFAJ, la Fondation Hippocrène, la Commission européenne, les Ministères, etc. Pour leur faire connaître l'Europe, qui ne se résume pas à Bruxelles, nous avons souhaité leur faire rencontrer des jeunes comme eux, issus d'autres pays européens – la Pologne et l'Allemagne. Ils ont ainsi eu l'occasion d'échanger sur leurs expériences concrètes : problématiques de formation ou d'intégration sur le marché du travail, en particulier. Ce qui a permis de constater que face à des problèmes identiques, les solutions apportées étaient parfois un peu différentes.
Qu'en est-il ressorti ?
Tandis que les encadrants se réjouissaient du vif enthousiasme et de la réelle curiosité qu'exprimaient les jeunes, ces derniers ont émis des propositions concrètes. Nous avons ensuite invité des décideurs européens, devant lesquels les jeunes ont témoigné - pour certains, il s'agissait de leur première prise de parole en public ! C'était leurs mots, leurs considérations, et des choses tout à fait intéressantes en sont sorties. Nous prolongeons donc aujourd'hui cette impulsion, toujours avec l'Afev, autour du projet Solidarity, qui regroupe sept pays européens. Nous revenons tout juste de Pologne, avec des jeunes Français, Belges, Hongrois, Grecs, Serbes, où nous avons réfléchi ensemble sur leurs craintes face à l'avenir du marché du travail (et en particulier la problématique de la requalification professionnelle, au cours de vies où ils seront amenés à changer souvent de carrière). On le voit, donc : il peut y avoir un vrai engagement des jeunes vis-à-vis de l'Europe, à condition de leur rappeler que cette dernière ne se résume pas à des institutions, mais regroupe des peuples de cultures et de traditions différentes, confrontés aux mêmes défis. C'est l'émergence d'une conscience européenne, qui ne peut se mettre en place qu'à condition de se réapproprier l'Europe, et de saisir qu'on a son mot à dire. Une forme de démocratie participative doit être construite, sur les territoires et avec les jeunes – au lieu de tout attendre de l’État. Les jeunes ont des choses à dire : il n'y a qu'à regarder leur mobilisation actuelle autour de la question climatique...
Dans les critiques émises à l'égard de l'Europe, on relève des contradictions flagrantes : l'Union est, par exemple, à la fois considérée comme très distante, insaisissable, « ectoplasmique », et responsable de tous les maux dans la vie de tous les jours...
Il y a là-dessus une vraie responsabilité de trente ans de la part des politiques : quand ils n'assument pas certaines décisions, « c'est la faute à Bruxelles », mais quand ils s'inspirent de bonnes pratiques importées de pays voisins, ils s'en attribuent souvent la paternité. Les médias et le système éducatif ne sont pas non plus innocents, qui restent souvent très nationaux dans leurs préoccupations comme dans leurs usages.
Qu'attendez-vous des résultats de l'enquête de l'Observatoire de l'engagement des jeunes ?
Sans préjuger d'eux, je pense que l'appréciation sur l'Europe sera très mitigée – ce qu'on entend souvent. Dans tous les cas, il ne faudra pas balayer d'un revers de main le diagnostic formulé par les jeunes. Bénéficier de l'Europe – pouvoir aller étudier, travailler et vivre dans un autre pays, par exemple -, ce n'est pas ouvert à tout le monde ; plutôt à des familles favorisées, et ce même si de nombreux dispositifs d'aide et de soutien existent. Les problèmes principaux sont liés à l'information, même si on ne peut pas totalement évacuer non plus la dimension financière, et à des visions erronées : beaucoup pensent que bouger, partir ailleurs, constitue avant tout un luxe, des vacances. Les opportunités n'apparaissent pas ouvertes, alors qu'elles devraient l'être. Or si l'on permettait à tous les jeunes de faire l'expérience de l'Europe, y compris ceux issus de milieux ruraux, de petites et moyennes villes, de banlieues, cela changerait complètement le regard envers l'Europe. Il faut enfin prendre les jeunes au sérieux : on a besoin de leur exigence, parce qu'il s'agit de changer profondément notre mode de vie. Là encore, je serais curieuse d'entendre leur point de vue sur les grandes orientations européennes en matière de transition écologique...
Photo : Xerfi Canal
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