André Antibi : « Ce qui fait souffrir un élève c’est l’injustice »

Notre système scolaire trie systématiquement les élèves en trois catégories : les bons, les moyens, les mauvais, souligne André Antibi, chercheur en didactique à l'université Paul-Sabatier de Toulouse. Et ce, quel que soit le degré réel d’acquisition des connaissances. Ou comment créer artificiellement de l’échec scolaire et de la souffrance. Un tiers de « bons » élèves, un tiers de « moyens », un tiers de « mauvais » : prenez n’importe quelle classe et, quel que soit le niveau réel d’acquisition des connaissances par ses élèves, vous retomberez à peu près sur cette proportion… « Une tendance naturelle, souvent inconsciente, des enseignants, soumis à la pression de notre système scolaire », analyse André Antibi, professeur en Sciences de l’éducation et initiateur d’un mouvement qui lutte contre ce qu’il a dénommé « la constante macabre ». « Mettre une certaine proportion de mauvaises notes rassure l’enseignant en lui donnant le sentiment d’être crédible, poursuit André Antibi. Tout le monde est responsable : si on disait à un parent que dans la classe de votre enfant, il n’y avait que des bonnes notes, il serait inquiet. Les élèves eux-mêmes se poseraient des questions ! » Souvent inconsciente chez les enseignants, cette logique a pu être institutionnalisé dans différents systèmes d’évaluation : ainsi, l’attribution des crédits universitaires au niveau européen (ECTS) prévoit que les 10% des élèves les moins bien notés recevront la plus mauvaise marque, E, même s’ils maîtrisent l’essentiel de ce qui leur est demandé… L’examen devient du coup un véritable concours.

Premières victimes du système de notes, les enfants issus de fa milles populaires

Au lieu de mesurer simplement l’acquisition des connaissances, l’évaluation s’apparente, dans cette logique, à un instrument de « création artificielle d’échec scolaire », insiste le fondateur de « la constante macabre ». Puisqu’il faut absolument un tiers de « mauvais » élèves, rentreront dans cette catégorie des enfants qui ne le mériteront pas. C’est là que l’évaluation devient source de souffrance. Avec un brin de provocation, André Antibi fait remarquer : « Un élève qui n’aime pas une matière et qui ne travaille pas et a des mauvaises notes, ce n’est pas une source de mal-être… L’élève sait qu’il n’a pas fait ce qu’il faut pour réussir. Le problème, c’est quand un élève qui aime une matière, qui a compris et travaillé, se retrouve à avoir de mauvaises notes. Ce qui fait souffrir un élève, c’est l’injustice. » Pour le professeur en sciences de l’éducation, le système d’évaluation français est d’autant plus inique que « les premières victimes sont les enfants de milieux défavorisés, ceux qui ne bénéficient pas d’un environnement porteur ». Ceux qui, par exemple, ne seront pas prévenus des pièges qu’une évaluation peut contenir pour mieux faire échouer les élèves – autre spécificité du système français qui tranche avec le contrôle bienveillant d’acquisition des connaissances d’un pays comme la Finlande.

Remettre la confiance au cœur de l’évaluation

S’il est encore difficile de faire bouger les mentalités, et pas seulement dans le corps enseignant, les thèses du mouvement contre « la constante macabre » rencontrent désormais un certain écho, « y compris dans les ministères », affirme André Antibi. « Tous ceux qui se penchent sur la question viennent à le reconnaître : notre système d’évaluation actuel pourrit le système éducatif et bloque toute tentative d’amélioration. » Le chercheur propose donc une nouvelle forme d’évaluation, dite par « contrat de confiance », prévoyant notamment d’annoncer des sujets de contrôle très précis et d’élaborer des sujets fidèles à ce programme. Le dernier point restant la correction, selon un système rigoureusement établi précédemment pour ne pas introduire en cours de correction de nouveaux biais (qualité de la rédaction, longueur…) susceptibles de recréer un groupe de « mauvais »… Près de 30 000 enseignants ont déjà choisi ce système d’évaluation par contrat de confiance, affirme André Antibi, qui y voit « le meilleur moyen de recréer la confiance entre le professeur et ses élèves ».

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