Contribution de l'Agence Nationale de Lutte contre l’Illettrisme (ANLCI) à la 11e édition de la Journée du refus de l’échec scolaire.
Lorsque nous parlons, lors de nos multiples interventions, du problème de l’illettrisme et de son ampleur, nous nous efforçons de montrer que quand il s’agit de lutter contre ou de prévenir, de nombreuses solutions existent. Ces solutions ont d’ailleurs permis un recul significatif de l’illettrisme entre 2004 et 2012 puisque nous sommes passés de 9% à 7% de la population adulte âgée de 18 à 65 ans ayant été scolarisée en France. Etonnés par l’ampleur, parfois insoupçonnée, du phénomène, nos interlocuteurs s’interrogent : « comment expliquer dans un pays où la scolarité est obligatoire depuis 136 ans, que 2 500 000 adultes âgés de 18 à 65 ans soient en situation d’illettrisme ? »
Nous expliquons alors que l’illettrisme est un problème multifactoriel et qu’il est difficile, voire risqué, d’isoler une seule cause. Risqué, car c’est ouvrir la porte aux porteurs de raisonnements toujours hâtifs qui en cherchant une seule origine à un tel problème, préfèrent désigner un coupable plutôt que de chercher, en se réunissant pour agir, à partager cette responsabilité. Il est cependant nécessaire d’évoquer certains facteurs, qui aggravent les risques d’illettrisme. Parmi ceux-ci, il n’est pas rare que nous évoquions le sujet de l’orientation ou plutôt le problème de l’orientation. Nous l’évoquons mais nous n’avons peut-être pas encore suffisamment pris le temps, avec nos partenaires concernés, d’approfondir cette question.
Le choix de cette thématique, à l’occasion de la onzième Journée du refus de l’échec scolaire, qui a reçu le label« Agir ensemble contre l’illettrisme » pour sa contribution aux Journées Nationales d’Action contre l’Illettrisme, est un choix auquel nous nous sommes ralliés avec enthousiasme tant il est vrai que nous concernant, l’exploration de ce sujet et des problèmes qu’il pose est essentiel pour poursuivre notre démarche.
Il est intéressant de noter que sans aborder frontalement le problème de l’orientation, nous utilisons volontiers dans notre champ lexical d’« experts » de la lutte contre l’illettrisme des termes qui appartiennent ou pourraient appartenir aussi au champ lexical de l’orientation. Il n’est pas rare, ainsi, que pour tenter d’expliquer comment un adulte peut se trouver en situation d’illettrisme nous disions que cette personne a connu des ruptures dans son parcours, des passages difficiles. Nous parlons de toutes les étapes qui jalonnent la vie d’une personne de sa naissance à la fin de sa scolarité obligatoire et nous identifions bien que ce sont ces transitions qui peuvent fournir à l’illettrisme un terrain privilégié.
Mais ce n’est pas suffisant et nous devons aller plus loin dans la réflexion, nous interroger sur ce parcours d’orientation semé d’obstacles et dans lequel il est difficile de se repérer quand on est déjà en difficulté avec les savoirs de base. Nous savons, comme le dit l’AFEV, que l’orientation se construit en référence à un niveau scolaire. Ce sont les résultats scolaires, dans ce qu’ils disent, mais aussi dans ce qu’ils ne disent pas de la motivation d’une personne, de ses compétences qui déterminent l’avenir de cette même personne. Que nous le voulions ou non, nous ne sommes pas encore culturellement disposés à admettre que dans les éléments constitutifs de la réussite il y aussi des éléments qui passent difficilement à travers le filtre des résultats scolaires, avec évidemment une prépondérance accordée à certaines disciplines qui permettent très tôt d’organiser le tri.
Et c’est ainsi que les orientations vers les filières de l’enseignement professionnel se font généralement au regard des seuls résultats obtenus dans les matières considérées, à juste titre d’ailleurs, comme fondamentales. Ce qui a pour conséquence de « déconsidérer » tout ce qui peut pourtant fournir une occasion de réussite, y compris, à terme, dans ces disciplines dites fondamentales. Pour être clair, de mauvais résultats en français et en mathématiques entraînent généralement ce que beaucoup appelle encore dans le langage commun « une orientation ». L’une des conséquences, qu’on le veuille ou non est d’introduire durablement dans l’esprit des personnes concernées, et même au-delà, une double confusion : la première c’est qu’on est « orienté » quand on a des difficultés et la seconde c’est qu’on peut « quand même réussir » dans ces voies, même si on ne maîtrise pas suffisamment les compétences de base. Tout le travail que nous avons réalisé ces dernières années avec certaines filières professionnelles contribue à faire évoluer ces représentations et il faut absolument parler, comme le fait le secteur du bâtiment, de l’excellence des métiers qui sont associés à ces secteurs et de l’importance qu’il y a à maîtriser les compétences de base pour les exercer durablement.
En 2012 nous avons conduit avec le Fonds d’Assurance Formation du Travail Temporaire une étude montrant que 9 % des salariés intérimaires étaient en situation d’illettrisme. Mais ce que cette enquête révèle aussi c’est que 61 % des salariés en situation d’illettrisme dans le travail temporaire ont un CAP ou un BEP et rencontrent dès lors des difficultés dans leurs évolutions professionnelles. Ce chiffre illustre parfaitement la démonstration du paragraphe précédent : on est orienté vers les filières professionnelles du fait de lacunes importantes dans les compétences de base, on peut même réussir, y compris obtenir le CAP ou le BEP mais on se retrouve un jour ou l’autre en difficulté importante. Les personnes concernées, sont dès lors les premières à prendre conscience du rôle qu’a joué l’orientation et un grand nombre d’entre elles en renouant avec les compétences de base donnent un nouvel élan à leur parcours.
Pour conclure il nous semble indispensable, le plus tôt possible, de donner à chacun des occasions de réussir, de révéler son potentiel et de tout mettre en œuvre pour que le lire, l’écrire, le compter soient vécus, et surtout compris, comme les éléments essentiels qui permettront de construire des compétences quelles que soient les champs dans lesquelles elles seront mises en œuvre.
Eric NEDELEC
Coordonnateur National ANLCI
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